L'Alakazam qui ne voyait pas [Aventure/AAML] TERMINEE

Morgane ressentit des picotements remonter le long de ses jambes et de ses bras. Ceux-ci s’amplifiaient au fur et à mesure de leur route vers son cœur et arrivés à destination, ils lui brulèrent violemment la poitrine.

Les yeux vitreux de l’Alakazam toujours plongés dans les siens, la vision de la championne se fit plus floue, mais elle ne détourna pas le regard. L’image du Pokémon Psy se déforma comme dans un rêve de fièvre, s’allongeant à droite, puis à gauche, pour finir par se mettre à briller intensément. Les jambes de Morgane vacillèrent, tandis qu’autour d’elle, les contours de ce qui l’entourait s’estompaient, se mélangeaient. Puis, la lumière fut si forte que la femme dut rabattre ses mains devant ses yeux, perdant ainsi contact avec le verre de la colonne abritant l’Alakazam.

A cet instant alors, elle sentit le monde disparaitre sous ses pieds. Pourtant, elle ne tomba pas. Elle se sentit simplement glisser vers le bas, comme attirée par une force invisible, une gravité qui n’aurait pas lieu d’être. Quand elle sentit à nouveau un semblant de sol sous ses pieds, elle écarta les mains de devant son visage.

Morgane ouvrit de grands yeux, non pas de surprise, mais d’émerveillement. Elle se trouvait au milieu d’une forêt magnifique, peuplée d’immenses arbre gris pâles. Elle reposait sur ce qui aurait pu être de la neige.

La championne se baissa et effleura du bout des doigts cette substance douce qui n’avait rien de froid. Là où elle avait été transportée, il n’y avait pas un souffle de vent, pas un murmure. Un silence royal régnait sur les lieux, pourtant ceux-ci n’avaient rien d’effrayant. Au contraire, elle s’y sentit immédiatement bien. Cet endroit aurait pu être un havre de paix. Mais elle n’était pas venue là pour se laisser bercer par de belles illusions.

Alors, prenant son courage à deux mains, Morgane s’avança dans ce labyrinthe magnifique. La même substance inconnue qui recouvrait les lieux se mit soudain à tomber d’un ciel inexistant pour disparaitre avant de toucher le sol. Morgane la sentit s’échouer sur ses épaules, puis glisser délicatement le long de son dos comme une caresse.
Elle n’avait qu’une envie : S’allonger au pied de l’un de ces arbres majestueux et fermer les yeux. S’endormir. Se laisser recouvrir tout entière par cet univers fantastique et ne faire plus qu’un avec lui.

Ce fut une torture pour elle de continuer sa route et, perdant totalement la notion du temps, elle ne sut jamais combien de temps elle mit avant de se rendre compte que ses pas ne laissaient pas d’empreintes derrière elle, avant de se rendre compte qu’elle ne ressentait ni fatigue ni peur, avant de rendre compte qu’elle commençait à avoir du mal à se rappeler de ce qu’elle faisait ici.

Il manquait quelque chose. Elle avait quelqu’un avec elle. Un ami ? Où était-il ?
Tandis qu’elle se questionnait, elle vit une forme se matérialiser devant elle, émerger de cette neige qui n’en était pas.
Abra ?
Bien sûr Abra ! Se souvint-elle.
Elle courut vers son Pokémon adoré qui couina de plaisir en se retrouvant dans les bras de sa dresseuse.
Abra… Comment ai-je pu t’oublier ? S’en voulu Morgane.
La femme aux longs cheveux verts se demanda alors si elle aurait seulement un jour revu son Abra si elle n’avait pas pensé à lui.

Le petit Pokémon Psy ne resta pas tranquille très longtemps et se mit à gigoter contre la poitrine de sa dresseuse.

- Tu veux me dire quelque chose…

La championne sentait qu’Abra lui parlait en pensée, mais qu’il ne trouvait pas les mots. Finalement, il lui pointa une direction que Morgane suivit sans se poser de question.

Tandis qu’elle marchait, elle essayait de se répéter sans cesse qui elle était, d’où elle venait… Convaincue que si elle arrêtait, cet endroit allait lui aspirer tout ses souvenirs et les noyer dans son décor magnifique.
Une partie d’elle le désirait pourtant ardemment.
Le grand silence, réponse ultime à ses trop nombreuses questions existentielles qui lui rongeaient l’existence.

Au bout de quelques minutes, ou peut-être quelques heures après tout, Morgane se retrouva au milieu d’une grande clairière complètement vide. Autour d’elles, des arbres, encore plus beaux que ceux qu'elle avait précédemment croisés, se dressaient majestueusement, comme des parents bienveillants.
Mais une clairière d’un vide aussi pesant, cela n’avait aucun sens.
Les parents veillent toujours sur leur enfant.
Et au fur et à mesure qu’elle avançait vers le centre des lieux, que ses jambes s’engourdissaient et que son corps se faisait plus lourd, Morgane finit par distinguer une silhouette familière devant elle.

Comme sorti du néant, se tenait à quelques mètres l’Alakazam abandonné, appuyé contre un arbre blanc gigantesque qui était apparu avec lui. Des larmes fines glissaient le long de ses joues creuses.
C’était lui.
Je dois me trouver dans son esprit… Se dit la dresseuse. Tant mieux, c'est ce que je voulais...

- Alakazam… Murmura Morgane, fébrile.

Le vieux Pokémon ne répondit pas, mais pourtant elle le sentit sonder son esprit. Elle le laissa faire, sans rien dire, car elle n’avait rien à cacher et qu’elle était venu dans cet espoir.

Même s’il ne bougeait pas ses lèvres, elle entendit la voix rauque et fragile de son vieil ami résonner dans sa tête.
Elle comprit que cet arbre blanc qui se dressait derrière lui était la souche d’arbre sur laquelle il avait trébuché en essayant de la rattraper, après qu’elle l’eut laissé seul dans la forêt.
Elle avait bien changé depuis, tellement, qu’elle en était devenue cet arbre, cette forêt, cette univers surréaliste.

Laborieusement, la championne essaya de façonner ses pensées pour les offrir ensuite à son vieux Pokémon.
Allait-il comprendre ? Allait-il accepter ses excuses ?

Je suis désolée mon ami, formula-t-elle silencieusement.
Je sais bien que c’est facile à dire après autant de temps, mais je n’étais qu’une enfant et tu le sais très bien.
Je n’allais pas bien, et encore aujourd’hui, comme toi, je ne vais pas bien.
Mais je te promets que j’ai regretté mon geste et que j’ai essayé de te retrouver. Dès que j’ai appris que tu vivais toujours, j’ai tout fait pour que cet instant arrive. Tu peux fouiller mes pensées, tu verras que je dis vrai.
Je ne peux pas effacer ce que j’ai fait comme tu ne peux pas effacer ce que tu as fait.
Mais nous pouvons tout arrêter cette nuit et prendre un nouveau départ ensemble.
Peut-être as-tu dans ton esprit les réponses que je cherche tant et la paix que je n’ai jamais connue.
Peut-être pourrais-je combler la solitude qui t’a suivie jusqu’ici, hantant chaque arbre de cette forêt de rancune.
Mais nous devons arrêter de faire du mal autour de nous, tu comprends ?
Je t’aime toujours et je sais que toi aussi.
Notre lien est plus fort que la trahison, l’abandon, l’absence, le manque.
Nous sommes au-dessus de tout cela toi et moi, j’en suis malade et tu en es malade aussi.
Mais ce soir, tout pouvons tout arrêter.
Libère-les et apporte-moi la paix.
Cet endroit en est recouvert.
Mais je t’en prie, libère-les.
Cela ne les regarde pas.
Personne ne peut comprendre ceux de notre espèce.

Sans s’en rendre compte, Morgane s’était retrouvée à genoux, Abra collé à son bras. Elle ne savait pas si tout ce qu’elle pensait, disait, imploré, serait entendu. Mais elle gonfla la poitrine, confiante. Elle savait que tout irait bien. Et comme s’ils se comprenaient, le vieil Alakazam s’approcha d’elle. La dresseuse esquissa un sourire mélancolique et essuya une larme sur la peau sèche de son vieil ami.

Le Pokémon Psy la prit délicatement dans ses bras, comme si elle pouvait se briser à chaque instant. Rendant son étreinte à l’Alakazam, Morgane baissa les yeux vers son Abra, qui, confus, avait reculé de quelques pas.

- Ne soit pas triste, ce n’est pas vraiment un au-revoir… Chuchota-t-elle.

Puis, toujours contre l’Alakazam, elle releva la tête et regarda devant elle. Sur les plus hautes branches de l’arbre blanc, de minuscules flammes crépitaient. Hypnotisée par ce spectacle incroyable, Morgane continua à fixer ce feu blanchâtre qui réduisait en cendres le sommet de l’arbre, puis son tronc, puis la forêt qui l’entourait. Elle n’avait pas chaud, elle ne ressentait rien, sauf un grand soulagement.

Tandis que les flammes se propageaient davantage dans une mélodie féérique, Morgane sentit un poids énorme quitter son corps, comme si lui aussi avait été réduit en cendre. En fait, à bien y regarder, la substance douce qui jonchait le sol lui arrivait à présent au niveau des hanches. Morgane ne l’avait même pas réalisé. Elle serra un peu plus l’Alakazam contre son cœur et ferma les yeux. Elle pensa aux autres. A Robin son amour. A Abra son ami.

Elle voyait dans ses pensées son petit Pokémon Psy courir dans cette cendre étrange, s’éloigner de plus en plus de la clairière. Il avait peur, il était inquiet pour elle. Puisant dans ce qu’il lui restait de conscience, Morgane imprima dans son esprit un message. Elle eut terminé juste avant qu’Abra ne se téléporte dans le monde réel et, tandis que son esprit et celui de son vieil ami ne faisaient qu’un, une explosion de lumière intense balaya les cendres de la forêt et les répandit dans le vide, ne laissant plus rien.

Quand Sacha entendit le bruit de l’explosion, il n’eut pas le temps de réaliser ce qu’il venait de se produire, qu’une fumée sombre vint lui obstruer le nez et la gorge, lui brûlant les yeux. Finalement, il réussit à s’habituer à ce brouillard étrange et, paniqué, chercha du regard Ondine et James. Ceux-ci sortirent de la fumée devant lui.

- Sacha ? Tout va bien ? Demanda son amie, angoissée, en arrivant à son niveau. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? On a été réveillé en sursaut par un grand bruit ! Ah… Cette fumée… Ajouta-t-elle en toussant.
- Je… Je ne sais pas, balbutia le jeune dresseur.
- J’en ai marre, pleurnichait James, en retrait. Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça…
- Les garçons… Où est Morgane ? S’écria soudain Ondine.

Sacha tourna des yeux, rougis par la fumée et affolés par la tournure inattendue des évènements, vers le mur où était appuyée Morgane, mais il ne vit personne. Il n’y avait qu’un petit sac à terre, qu’il ramassa. Il contenait des Pokéballs et quelques affaires personnelles. C’était le sac de Morgane.

Des alarmes stridents se mirent alors à retentir et à résonner un peu partout, et d’autres bruits d’explosion, plus légers cette fois-ci, se firent entendre. Sacha regarda, interdit, l’entrée de leur cellule qui avait été complètement soufflée sous l’impact du premier choc.

- Sacha, murmura Ondine en s’agrippant fermement à son ami, tu crois que Morgane disait vrai ? Tu crois qu’elle est vraiment allée l’arrêter ?
- J’en suis persuadé...
- Il faut qu’on parte d’ici…
- Il faut qu’on trouve Pikachu…

Les deux amis virent des sbires de la Team Rocket passer à toute vitesse devant leur cellule, courant vers ce qui devait être la sortie. Ils n’avaient prêté aucune attention à Sacha et Ondine, qui a cet instant, semblaient être le dernier de leur souci.

Le jeune homme serra alors le sac de Morgane contre lui et attrapa Ondine par le bras dans un geste un peu brusque. Vite, il entraina son amie avec lui et, ensemble, ils sortirent de leur prison, enjambant maladroitement les débris de verre soufflé.

Morgane avait parlé d’une porte verte sur le chemin qu’ils avaient pris pour aller jusqu’à la grande salle. Il se rappelait très bien par où ils étaient passés. Il n’y avait pas de temps à perdre. James sur les talons, nos amis eurent le temps de faire seulement quelques pas, qu’un morceau de l’étage supérieur s’effondra dans un grand fracas.

- James ! Cria Ondine en tambourinant de ses petits poings la paroi rocheuse.
- Laisse tomber, fit Sacha, on ne peut pas y aller. Il faut aller sauver Pikachu et les autres !
- Mais James…
- Ne t'inquiètes pas, il trouvera un autre chemin. Tu ne veux pas sauver tes Pokémons ?

Ondine acquiesça et suivit Sacha en courant.

- Ondine ! Sacha ! Cria James.

Mais il n’eut aucune réponse. Il devenait de plus en plus difficile pour lui de respirer. Dans un sourire, il pensa à son vieil ami Smogogo et à sa fameuse Purée de pois. Au moins, il était un peu habitué à ce genre de situation.
James secoua la tête.
Mais qu’est-ce qu’il te prend de penser à des choses pareils… Se demanda-t-il.

L’ancien membre de la Team Rocket regarda, déconfit, le monticule de gravats qui lui bloquait le chemin. Tant pris, il en prendrait un autre.
Soudain, une autre explosion le fit sursauter. Il ne fallait pas qu’il reste là, un autre morceau risquait de se décrocher.

Mais James était complètement paralysé. Son regard tomba alors sur un bout de manche noire qui dépassait du tas de décombres. L’image d’une main blanche écrasée le percuta violemment.
Sans réfléchir, il se retourna et prit ses jambes à son cou, dans la direction opposée à celle empruntée par Sacha et Ondine.

C’est dans un brouhaha chaotique et une fumée de plus en plus dense que Sacha et Ondine continuèrent leur course à la recherche de leurs précieux Pokémons perdus.
Ce n’est pas possible, se dit le jeune homme, qui avait remonté son T-shirt au dessus de son nez pour mieux respirer, je ne vois rien… Bon sang, c’est où ?

- Sacha ! Sacha ! S’écria soudain Ondine. Je crois que c’est là ! Ajouta-t-elle en tirant violemment sur une poignée. Je n’y arrive pas !
- Attends, laisse-moi essayer !

Sacha accouru donc, essoufflé, vers son amie. Effectivement, la porte correspondait bien à la description que Morgane en avait faite, d’une couleur verte affreuse qu’on avait du mal à distinguer dans la pénombre des lieux. Le jeune dresseur agrippa la poignée fermement, mais ses doigts glissèrent sur le métal chaud. Il essuya vite ses mains moites sur son jean sale.
Respirer correctement devenait de plus en plus difficile.

Malheureusement, malgré tous leurs efforts, les deux amis ne réussirent pas à ouvrir la porte, fermée à double tour. Désespéré, Sacha commença à tambouriner comme un fou sur celle-ci :

- Pikachu ! Pikachu ! Tu m’entends ? Pikachuu !

Il dut rapidement arrêter, car, ajouté au fait que ce geste était totalement inutile, il avait malencontreusement inhalé une grande quantité de fumée en criant et s’était mis à tousser de plus en plus fort.

Une lueur se mit alors à briller dans le sac qu’il avait déposé à ses pieds et plusieurs rayons lumineux en sortirent.
Quelques secondes plus tard, se trouvaient devant eux un magnifique Cryptéro, un grand Kadabra, ainsi qu’un Flagadoss souriant et un Groret intenable. Bien que, du à leur captivité prolongée, ils aient l’air tous très fatigués, une grande puissance semblait émaner d’eux.

- Waa… Murmura Sacha, stupéfait.
- Ce sont les Pokémons de Morgane, fit Ondine d’une voix éraillée par l’atmosphère chargée. Ils ont du entendre les alarmes et tes cris et ils sont venus nous aider…
- Elle a une sacrée équipe…

Le mystérieux Groret se balançait de gauche à droite comme s’il attendait quelque chose, fixant Sacha de ses grands yeux vifs.
Le jeune homme réfléchissait.
Comment venir à bout de cette porte ? Elle doit sans doute être blindée… Se demandait-il.

- Je crois que j’ai une idée, fit-il alors d’une voix mal assurée. On va voir si ça marche… Euh… Kadabra ?

Le Pokémon à l’air sage se tourna vers Sacha d’un air solennel ce qui intimida d’autant plus le jeune dresseur qui se sentait mal à l’aise de commander des Pokémons qui n’étaient pas les siens.

- Est-ce que tu penses que tu pourrais fragiliser cette porte ?

Kadabra approuva et se plaça devant la porte. Un sillon témoignant d’une intense concentration se creusa sur son front et tandis que ses cuillères se mettaient à scintiller dans le brouillard sombre et pesant, la porte émit un grincement aiguë.
Les secondes passèrent, affreusement longues, quand tout à coup, Sacha s’aperçut que la porte commençait à se plisser et se tordre, sortant par endroit de ses gonds. Le Kadabra de Morgane semblait à bout de force, il n’avait presque plus d’énergie.

Ondine suivait la scène des yeux, le cœur battant. Des gouttes de sueur perlaient sur son front et ses vêtements trop grands lui collaient à la peau. La chaleur devenait étouffante et des lumières étranges dansaient depuis quelques minutes déjà dans son champ de vision.
Allez Kadabra… Pensait-elle, comme pour encourager le Pokémon Psy en pensée.

- Sacha, murmura-t-elle alors la voix tremblante, ça ne marche pas...
- Mais si tu vas voir ! Ok, parfait Kadabra ! Allez les autres, tous en même temps, Choc Mental !

Les Pokémons de Morgane obéirent à Sacha sans sourciller et envoyèrent en même temps leur puissante attaque sur la porte fragilisée, qui fut instantanément soufflée dans une explosion de couleurs flamboyantes.

Sacha, n’écoutant que son inconscience, courut dans la salle sans même savoir ce qui l’attendait de l’autre côté, enjambant maladroitement les débris qui jonchaient le sol.

- Sacha ! Attends-moi ! Cria Ondine sur ses talons.
- Pikachu ! Pikachu ! Les amis ? Où êtes-vous ?!

Ondine, qui avait du mal à reprendre son souffle, appuya sa main sur un des murs de la salle plongée dans le noir et sentit tout de suite l’interrupteur contre sa paume. Elle essaya de l’enclencher, mais seul un petit éclair en jaillit et l’endroit resta noyé dans ces ténèbres suffocantes.

Cryptéro s’approcha alors de la dresseuse dépitée et lança Flash, qui éclaira raisonnablement la salle, assez en tout cas pour que les deux amis puissent voir ce qui les entourait.

Les murs de la pièce où ils se trouvaient étaient incroyablement hauts et peuplés d’innombrables étagères remplies de Pokéballs. Chacune d’elle était maintenue fermée par un système de griffes en métal poli.

Les yeux de Sacha balayèrent la salle à toute vitesse et son regard tomba sur un petit Pokémon jaune emprisonné dans une cloche. Le sang du dresseur ne fit qu’un tour et il se rua vers son ami.


- Pikachu ! Fit-il en soulevant la cloche de l’étagère.

Le Pokémon électrique faisait des grands gestes dans sa prison, mais, le son ne parvenant pas jusqu’à Sacha, il était impossible de comprendre ce qu’il disait et ses attaques éclairs n’avaient aucun effet sur les parois de la cloche.

- Je vais te sortir de là ! Fit Sacha.

Mais la cloche, verrouillée par le même système que les Pokéballs, refusait de s’ouvrir si facilement.

- Sacha, regarde cette machine ! Fit Ondine en pointant du doigt un énorme ordinateur grésillant au coin de la pièce et qui semblait à deux doigts de rendre l’âme.
- Tu crois que c’est lui qui contrôle le système ?
- Je vois pas à quoi il servirait sinon !

Le Flagadoss de Morgane, à priori bien plus brillant que ne le laissait sous entendre son regard absent, n’attendit pas la réponse et donna un impressionnant coup de queue dans le tableau de bord électronique, ce qui eut pour effet immédiat de l’achever complètement. Tous les systèmes de verrouillage des Pokéballs s’ouvrirent dans un grand claquement sec et tous les Pokémons retenus captifs se trouvèrent libérés en même temps.

Sacha fit vite sortir Pikachu de sa cloche et le serra dans ses bras tremblants.

- Pikachu… Tu m’as tellement manqué… Balbutia-t-il, les yeux brillants.
- Pika Pika… Répondit son ami en se frottant sur sa joue.

Il ne fallut que quelques secondes pour que la pièce se transforme en immense ménagerie.
Tandis que d’innombrables Pokémons s’enfuyaient des lieux en vitesse, Sacha sentit une pression dans son dos et il tomba à la renverse. Quand il se releva, un peu sonné, il vit son Macronium qui sautillait devant lui d’un air béat. Tous ses Pokémons l’entouraient. Il était si heureux de tous les retrouver !

Sacha tourna sa tête vers Ondine, un peu en retrait. La jeune femme était à genoux et caressait son Psykokwak, qui ne semblait pas trop réalisé ce qu'il venait de se passer, et son Stari. A côté d’elle, son magnifique Amphinobi tenait deux Pokéballs qui devaient être celle de Lamantine et de Léviator.

Bien que très heureux de retrouver leurs leurs amis qu’ils avaient eut peur de ne plus jamais revoir, les deux jeunes dresseurs ne perdirent pas de vue leur situation de danger. Effectivement, les lieux menaçaient de plus en plus de s’écrouler sur eux même et même s’ils résistaient encore un peu, ils finiraient bientôt par manquer d’oxygène, ou pire, brûlés par les flammes.

Sacha et Ondine rappelèrent donc leurs Pokémons, ainsi que ceux de Morgane, dans leurs Pokéballs respectives, et ne gardèrent avec eux que quelques uns d’entre eux.
Pikachu bien sûr, mais surtout Kraboss, Stari et Amphinobi qui ouvrirent leur marche, éteignant les flammes de leurs Pistolets à eau, Flagadoss n’étant malheureusement pas assez rapide sur ses pattes pour pouvoir aider les autres.
Cryptéro, quant-à-lui, guidait le cortège en relançant de temps en temps des attaques Flash.

- Où est la sortie ? Cria Ondine en courant.
- Je ne sais pas ! Répondit Sacha. On a qu’à suivre tous ces Pokémons ! Ils doivent la sentir !

C’est donc ce que les deux amis firent, dépensant une énergie folle à suivre les Pokémons évadés en essayant de ne pas perdre leur trace, ce qui aurait été quand même relativement difficile vu le remue-ménage qu’ils faisaient tous.

Après quelques minutes de course effrénée dans ce dédale enfumé, Sacha et Ondine se retrouvèrent à l’entrée du repaire où ils s’étaient fait arrêter la veille. Le disque épais qui servait de système de remontée de la piste d’atterrissage de l’hélicoptère semblait être complètement hors service, mais Ondine remarqua que de nombreuses échelles taillées dans la pierre et le métal remontaient à la surface. Des issues de secours. C’est par là que les sbires de la Team Rocket avaient du s’échapper.

Les deux amis rappelèrent donc leurs derniers Pokémons dans leurs Pokéballs et se lancèrent à l’assaut des hauteurs.

Tout à coup, ils entendirent des cris à fendre l’âme qui venaient d’en bas. Sacha, qui suivait Ondine, baissa les yeux et aperçut tous les Pokémons qui étaient restés coincés en bas et qui ne pouvait pas monter.
En effet, tandis que les Pokémons Vol s’échappaient par la voix des airs, les plus gros essayant tant bien que mal de soulever certains de leurs amis, faisant même parfois plusieurs allés retours, nombreux sont ceux qui se retrouvaient piégés dans le repaire.

- Ondine, regarde ! Ils sont coincés ! Et tout va s’effondrer !
- C’est affreux… Qu’est-ce qu’on peut faire ?
- Je ne sais…

Tandis qu’il prononçait ces mots, un immense Onyx vint se fracasser volontairement contre la paroi du profond tunnel, faisant de son corps une échelle de fortune pour les Pokémons restés en bas. Le choc fit vibrer violemment les lieux et le pied d’Ondine glissa. Sacha crut pendant quelques secondes qu’elle allait s’écraser sur lui et qu’ils tomberaient tous les deux, mais heureusement la championne d’Azuria avait un bon équilibre et elle réussit à se ressaisir.

- Fait attention ! Cria Sacha.
- Je fais ce que je peux !

Malheureusement, Onyx, malgré sa grandeur phénoménale, n’atteignait pas tout à fait la sortie. Sacha, qui était presque à la fin de leur ascension, appela donc son Macronium et son Bulbizarre à la rescousse.

Les Pokémons Plante, à l’abri sur le sol de l’île, envoyèrent leurs lianes dans le tunnel et aidèrent ceux qui étaient montés sur l’Onyx à franchir les derniers mètres vers la liberté.
Quelques Pokémons Psy, qui savaient se téléporter, faisaient des vas et viens entre le repaire de la Team Rocket et l’extérieur, pour aider les plus gros d’entre eux, trop lourds pour les lianes de Macronium et de Bulbizarre.

Ondine finie par sortir du tunnel et se hissa dans la faible lumière du jour qui commençait à peine à se lever. La luminosité pourtant médiocre lui brûla les yeux. Elle n’avait réalisé à quel point les rayons du soleil lui avait manqué. Derrière elle, Sacha se hissa à son tour et tomba à genoux, épuisé.

L’île, si vide quand ils étaient arrivés, étaient peuplés d’une multitude de Pokémons. Sur les berges, des sbires de la Team Rocket finissaient de gonfler de petits canoës gonflables orange. Nombre d'entre eux étaient déjà loin des côtes, sur le dos de Pokémons aquatiques, dans leur canoë déjà gonflé ou carrément, désespérés, à la nage.

Sacha se retourna vers le tunnel et regarda le fond. Il entendit un grand cri qui remonta jusqu’à lui. A priori, un Pokémon n’avait pas réussi à sortir. Sacha plissa les yeux, mais avec la fumée et une telle profondeur, il ne voyait rien.

Il fallait absolument qu'ils réussissent à le sauver. Mais, malheureusement, le dernier Pokémon Psy qui tenait encore debout et qui connaissait Teleport venait de libérer Onyx et affalé sur le sol de l'île, il était complètement épuisé.

Pendant ce temps, dans les décombres du repaire, James continuait sa propre course. Il n’avait absolument aucune idée de l’endroit où il allait et il se contentait simplement de courir comme si un autre guidait ses pas. Même s'il en éprouvait encore l'envie, il ne pleurait plus depuis bien longtemps, car ses larmes avaient complètement séchées avec la chaleur insoutenable de l’endroit.

En fait, il le réalisait bien, il était complètement perdu. Tous les couloirs se ressemblaient, les pièces étaient toutes vide et à moitié en flamme et surtout il n'y avait plus âme qui vive. James se sentait seul au monde.

Je vais mourir, se disait-il… Je vais mourir là, brûlé ou asphyxié...

Cette révélation freina sa course folle et il se mit à marcher doucement, déambulant dans ce décor cauchemardesque. Il avait l'impression d'avancer dans un rêve ou dans un décor de cinéma laissé à l'abandon. Le silence était pesant, seulement ponctué de crépitements douteux et de bruits d'effondrement.

- Ça ne sert à rien… Murmura-il comme un fantôme. C'est terminé. On m’a abandonné, je n’ai plus personne. La Team Rocket m’a trahi. Miaouss... Je n’ai plus aucun Pokémon. Les morveux m’ont laissé tomber. Jessie…

Au final, ils partiraient sûrement en même temps. Si elle ne l'avait pas déjà devancé...

Cette pensée chamboula James jusqu’au plus profond de lui-même. Ce n'était pas la première fois qu'il imaginait la perte de Jessie ces derniers jours. Pourtant, celle-ci semblait de plus en plus réelle. Il en était terrorisé. Appuyé contre le mur, toussant et toussant encore, sa main finie par glisser dans le vide. Il y avait une ouverture dans le mur et James s’y faufila, car il refusait de faire un pas de plus pour rien.

L’endroit dans lequel il se trouvait ressemblait à un réfectoire.
C’est sûrement là que les membres de la Team Rocket prenaient leur repas, pensa James.

Toutes les chaises étaient renversées, la cuisine complètement vide. James clopina jusqu’à elle comme un pantin et ouvrit la porte d’un placard d'un geste machinal.  Il avait terriblement faim et quitte à mourir, autant mourir le ventre plein.

Le placard qu’il avait choisit au hasard débordait de denrées diverses et variées et parce qu’il n’avait pas le cœur à réfléchir, il prit la première chose qui lui passait sous la main, un paquet de gâteaux au chocolat. Puis, il se laissa glisser contre un mur de la pièce. L’incendie se propageait de plus en plus, s’il restait assis là sans rien faire, il ne pourrait bientôt plus en sortir.
Mais à vrai dire, James n’en avait plus rien à faire.

Il ouvrit nonchalamment son paquet de gâteaux et grignota celui du dessus. Il était chaud et avait un goût de cendre. Malgré tout, il le finit et en prit un second.

Puis, il leva les yeux. Son champs de vision était bien réduit depuis que l'un d'eux n'était plus fonctionnel, mais il s'était relativement habitué. Au stade où il en était, on s'habitue à tout. Mais importe ce qu'il avait perdu, à cet instant précis, il était hypnotisé par ce morceau de plafond au dessus de lui qui vacillait un peu plus à chaque instant. S’il tombait, il allait l’écraser, c’était certain.

La question était : Préférait-il mourir enseveli ou brûlé ?
Enseveli, il souffrirait peut-être moins...

Tout à coup, comme il fallait s’y attendre, le fragment du plafond brisé se balança beaucoup plus dangereusement. James le vit comme au ralenti se décrocher et tomber vers lui.
Il ferma les yeux.
C’était l’heure.

Les secondes passèrent. Aucune sensation. Si, il était toujours fatigué. Il avait toujours très chaud. Mais, il n’avait rien senti de douloureux. Gardant ses paupières closes, James se demanda alors s’il était mort. Il n’avait pas souffert, c’était bien. Mais maintenant, il fallait prendre son courage à deux mains et voir où il était.
C’était étrange tout de même, cette chaleur insoutenable.

Fébrilement, l’homme aux cheveux bleus ouvrit les yeux et se les frotta vigoureusement, choqué.
Non je rêve… Se dit-il.

Devant lui, un Pokémon bleu familier brillait d’une lumière vive. Les débris du plafond avait rebondis sur lui et s’étaient écrasés à ses côtés.

- Non non non non... Ce n’est pas possible… Bégaya James, en fermant puis en rouvrant les yeux plusieurs fois de suite.

Son sauveur se retourna vers lui. Il était vêtu d’un accoutrement de cuistot ridicule sur lequel on avait brodé une lettre R. Des larmes coulèrent immédiatement sur ses joues et il se mit à courir en direction de James, levant les bras au ciel.

- Qulbutokééééééééé !

James, interloqué, le vit arriver et le Pokémon se jeta dans ses bras comme une masse.

- Qulbutoké ! Qulbutoké !
- Mais, mais... Qu’est-ce que tu fais là… Bégaya James, qui ne trouvait pas ses mots.
- Qulbu ! Qulbutoké !

Le Pokémon s’agitait de droite à gauche, puis revenait se coller contre James qui lui rendit, ému, son étreinte.

- Et ben mon ami, il faut croire que tu es aussi inutile que moi…
- Qulbutoké ?
- Ils ont essayé de te vendre avec les autres, mais personne n’a voulu de toi c’est ça ?
- Qulbutoké…
- Du coup, tu leur servais de personnel… Ça leur ressemble bien, continua James, amer.
- Qulbuuuutoké ! Renchérit Qulbutoké en prenant sa position habituelle, sa patte contre sa tempe.
- Mais je suis si content de te revoir… Balbutia James qui se remit à pleurnicher.
- Qulbuuutoké ! L’accompagna le Pokémon bleu.
- Qu’est-ce que tu fais là ? Finit par prononcer James entre deux sanglots sans larme, tu ne t’es pas enfui avec les autres ?

Le Pokémon haussa les épaules.
Tout comme James, il n’avait pas vu l’intérêt de continuer cette triste mascarade et avait entendu dans les cuisines que la fin arrive.
Tout à coup, un violent tremblement se fit sentir et, James, emplit d’une énergie nouvelle, se leva d'un bond !

- Il faut qu’on sorte de là ! Cria-t-il, le point en l’air.
- Qulbutoké !

Il prit les pattes de son ami dans ses mains et le regarda solennellement, les yeux brillants, à la manière grotesque d'une scène romantique mal jouée.

- On est peut-être des bons à rien ! Mais on est toujours vivants ! Et on va s’en sortir ! Jessie va s’en sortir !

A l’entente du prénom de son ancienne dresseuse, Qulbutoké gonfla le torse et commença à courir hors de la cuisine, évitant les flammes et repoussant les débris qui tombaient de plus en plus nombreux du plafond.

- Attends-moi ! Cria James, sur ses talons. Tu sais où est la sortie ?
- Qulbuuuutoké !

Pour y avoir passé énormément de temps, le Pokémon bleu connaissait très bien le repaire de la Team Rocket. Pourtant après quelques minutes de course, ils ne se trouvaient toujours pas à la sortie. Au contraire, ils firent éruption dans une pièce à l’allure stricte. En son centre, se dressait une table assez grande recouverte d’une nappe bourgogne. Dans des meubles, dont les vitres avaient été soufflées, et sur le sol, brillaient de nombreux objets dorés et étincelants.

- C’est dans cette pièce que Giovanni devait recevoir ses partenaires d’affaires, souffla James.
- Qulbu ! Qulbutoké ! S’agita le Pokémon en montrant du doigt ce fabuleux trésor.

Les yeux de James s’agrandirent comme des billes et son instinct de voleur prit le dessus. Il n'y avait pas une seconde à perdre. Il balaya en un instant ce qu’il restait encore sur la table, prit la nappe et l’utilisant comme baluchon, mit tout ce qu’il pouvait dedans. Au bout d’un moment, cela devint vraiment trop dangereux de rester et il balança le sac de fortune sur son dos.

Qulbutoké et lui reprirent alors leur course effrénée et après quelques minutes, ils se retrouvèrent à l’entrée du long tunnel qui menait à la surface. Ils n‘avaient croisé absolument personne en chemin, les lieux étaient déserts.

Même l’entrée du tunnel était vide, à l’exception d’une imposant Rhinocorne paniqué, qui, sous l’effet de l’angoisse, donnait de violent coups contre les parois.

Le Pokémon se calma un peu quand il vit arriver James et Qulbutoké, sûrement rassuré de voir qu’il n’était pas le dernier à être coincé là. Il s’avança vers James d’un air pacifique et le regarda d’un air profond et triste. James, qui d’habitude se serait enfui en criant, s’approcha de lui et passa ses bras autour de son cou, bientôt imité par Qulbutoké dans son costume ridicule.

- Ça va aller mon vieux… Murmura James, on va trouver un moyen de regagner la surface.

Tout à coup, une petite lumière se mit à vaciller sur le dos de l’imposant Pokémon.
Abra se matérialisa peu à peu, tranquillement assis sur la peau dure du Rhinocorne.
Des cernes interminables marquaient son visage.
James sentit alors un espoir lancinant lui déchirer la poitrine.
Le petit Abra pencha la tête sur le côté.

- Qulbutoké ! Accroche-toi bien à Rhinocorne ! Cria James.
- Qulbutoké !

Et le petit groupe disparut.