L'Alakazam qui ne voyait pas [Aventure/AAML] TERMINEE

Ondine fixait le sol à ses pieds. Elle entendait une fillette scander son nom à ses côtés, mais le son de sa voix enfantine venant s’enliser lourdement sur le pavillon de ses oreilles, avant même qu’elle ne puisse en interpréter le sens. Parcourue d’un grand frisson, la jeune femme ressentit une nausée violente lui secouer l’estomac et regarda ses bras comme si son corps ne lui appartenait plus. Elle avait la chair de poule.
Je vais vomir… Se dit-elle, avec horreur.

- Ondine ! Ondine ! Tu viens jouer avec moi ?

Je vais vomir.
Qu’est-ce que je dois faire ?
Qu’est-ce que je dois dire ?

Tremblante, Ondine leva des yeux horrifiés vers le jeune homme qui lui faisait face, quelques mètres devant elle. Sa main retenait ses cheveux noirs en bataille, comme si sa tête allait tomber s’il interrompait son mouvement, et ses grands yeux sombres la regardait d’un air inquiet. Le dresseur avait une jambe légèrement en avant de la seconde, comme s’il avait commencé un mouvement qu’il était incapable de terminer.

Ondine regarda son ami quelques secondes, interdite. Elle avait envie de lui demander si tout cela était vrai, mais elle avait perdu sa voix quelque part entre la révélation de ce secret écœurant et la réalisation du mal que celui lui faisait. Le pire, c’est qu’elle n’était pas si surprise. Elle n'avait pas besoin de poser la question, elle savait que ces révélations étaient vraies. A vrai dire, elle s’en doutait déjà. Fortement, même. Dès l’instant où elle avait vu Cassandre se jeter dans les bras de Sacha, elle avait deviné que...
Mais pourquoi donc est-ce que cela la blessait autant ? Il faisait bien ce qu’il voulait Sacha après tout.
Et qu’est-ce qu’il avait à l’observer ainsi ?
De quoi avait-il peur ?
Qu’elle s’énerve ?
Qu’elle fasse une scène ?

Les lèvres de la dresseuse se mirent à trembler dangereusement.
Non, je m’en fiche, se dit-elle. Je m’en fiche !

- Ondine ! Ben allez, qu’est-ce que t’as ! Viens jouer…

La jolie rousse plaqua ses mains contre ses oreilles. Une nouvelle nausée la secoua.
Mais tais-toi ! Pensa-t-elle ! Mais…

- Tu vas te taire ! Cria-t-elle, dans la pièce étouffante, d’une voix écorchée.
- Mais… Ondine… Commença à pleurnicher la fillette, les bras le long du corps. T’es pas gentille…

Dégoutée par son comportement envers cette petite fille innocente, Ondine se releva. Elle avait du mal à garder son équilibre, comme si ses jambes n’avaient plus assez de forces pour la porter. Elle prit une grande respiration et se dirigea d’un pas rapide vers la porte de la maison entrouverte. De cette sortie salvatrice, se dégageait la lumière réconfortante d’un jour chaleureux. Dehors, personne ne lui raconterait de telles horreurs. Dehors, personne ne viendrait l’embêter. Et surtout dehors, il n’y avait pas Sacha. Elle ne pouvait pas rester dans la même pièce que lui. Il fallait qu’elle atteigne cette porte.

De l’air, il me faut de l’air, se répétait-elle en se dirigeant vers l’extérieur.

Sacha vit donc Ondine le dépasser rapidement, avançant comme un robot défectueux vers la porte de la maison. Ses yeux étaient dilatés et elle n’avait pas refermé sa bouche depuis la fameuse révélation.

Il ne laissa pas le temps à son amie de faire un pas de plus et sortant de sa torpeur, il lui empoigna le bras fermement :

- Ondine ! Arrête ! Qu’est-ce que tu fais ?
- Ne me touche pas !!! Hurla la jeune femme d’un ton hystérique.

Elle qui avait réussi à garder son calme jusqu’à présent, réagit comme une mine explosive au contact de la main de Sacha sur son bras. Elle se mit à courir, sortit de la maison et claqua la porte derrière elle, laissant dans le salon désert Sacha et Mimi.

- Sacha ? Qu’est-ce qui se passe ? J’ai dit quelque chose de mal ? Demanda Mimi, d’une petite voix, en sanglotant tristement. Je voulais juste jouer...

Sacha se baissa et prit la petite fille dans ses bras.

- Non Mimi, tu n’y es pour rien. Ne t’en fais pas, ce sont les adultes qui font les choses mal. Je suis désolé… Dit-il d’une voix qu’il voulait rassurante.
- Ah bon, mais qu’est-ce que tu as fait de mal toi ? Répondit Mimi et s’essuyant ses yeux rougis du revers de la main.

Sacha soupira longuement.

- Un peu tout je suppose… Pikachu ?
- Pi… ka ? Répondit timidement son ami électrique, qui, caché derrière la casquette de son dresseur, c’était fait le plus petit possible.
- Je te confie Mimi d’accord ? Tu restes avec elle et tu la surveilles bien ok ? Je vais aller retrouver Ondine.
- Pikachu !! Approuva le petit Pokémon jaune.
- Mimi ?
- Oui... ? Fit la fillette en reniflant bruyamment.
- Tu veux jouer avec Pikachu un peu ? Je reviens bientôt.
- Jouer avec Pikachu ?

Un sourire hésitant éclaira le visage pâle de l’enfant.

- C’est vrai ? Je peux ? Demanda-t-elle, un soupçon d’entrain dans la voix.
- Oui, je te le confie ! Tu en prends soin hein ?
- Oui c’est promis ! Merci Sacha !
- Pikapika, fit Pikachu en sautant sur l’épaule de Mimi et, se mettant sur ses deux pattes arrières, il commença à lui faire des grimaces qui la firent rire joyeusement.
- Bon, je vous laisse tous les deux, je reviens !

Sacha se leva d’un air grave et sortit de la maison. Arrivé sur le perron, il balaya d’un regard stressé les environs, mais nulle trace d’Ondine.

- Ondine, où est-ce que tu es partie bon sang ? Marmonna-t-il, le visage crispé.



De son côté, la dresseuse de Pokémons Aquatiques avait couru le plus loin possible, empruntant inconsciemment le même chemin que Sacha avait pris quand il s’était enfui de chez Cassandre.

Comme son ami l’avait fait avant elle, elle trébucha également au même endroit. Sa chute interrompit sa course folle et eut le mérite de la ramener à la réalité. Ses genoux brûlés lui rappelaient que son corps fonctionnait toujours. Qu’elle était toujours vivante.

Elle ramena péniblement ses jambes contre elle et se blottit contre un grand arbre. Elle qui avait réussi à ne pas pleurer, se mit à verser de lourdes larmes qui venaient s’écraser comme de petites pierres sur la terre à ses pieds, y dessinant des disques de vide.

Vide comme moi, se disait la jeune femme, regardant, affligée, ses propres pleurs qui tachaient le sol impunément.

Tu fais vraiment pitié ma vieille… Se dit-elle. Tu réagis comme une adolescente éprise, en plein chagrin d’amour…

La jeune femme déplia ses jambes et les allongea devant elle. Les bras le long du corps, elle leva la tête vers le ciel bleu. L’après-midi était déjà bien entamé. Bientôt, le soleil magnifique commencerait sa descente. Ondine ferma les yeux, et laissa les rayons apaisants réchauffer ses joues et sécher ses larmes.

Elle somnola ainsi, quelques secondes, incapable de se concentrer sur quoi que ce soit. Dès qu’elle repensait à ce que lui avait dit Mimi, une nouvelle nausée l’agitait. Certes, peu à peu, ses idées se firent plus claires, mais il lui fallut de bien longues minutes pour être de nouveau capable de réfléchir calmement.

La première évidence qui frappa la jeune femme alors, fut aussi brutale qu’inattendue.
Il fallait qu’elle quitte Jude.
Bien qu’elle ne soit pas forcément épanouie dans sa relation, elle avait toujours pensé que celle-ci la nourrissait et lui assurait une certaine stabilité, psychologique comme sociale. Mais elle ne pouvait pas continuer à jouer les hypocrites.
Comment pouvait-elle éprouver une telle colère qu’un autre homme que son fiancé ait entretenu une relation avec une femme, tout en continuant à rester avec son futur époux ? Il ne le méritait pas.

Ondine pencha sa tête sur le côté. Elle était lourde, trop lourde. C’était comme si un esprit sadique s’amusait à y jouer des tambours. Consciente qu’elle commençait à avoir une migraine, la jeune femme se dit qu’il vaudrait peut-être mieux qu’elle rentre et prenne un médicament, avant que celle-ci ne dégénère. Mais si elle rentrait, elle reverrait Sacha… Et Cassandre… Les imaginer tous les deux en train de… Ahhh… Ondine se pencha en avant, les mains sur les yeux.

Sacha. Comment allait-elle se comporter avec lui maintenant ?
Ondine tendit la main vers son sac, qu’elle avait perdu en tombant, et le ramena près d’elle, contre sa jambe. Elle rentra la main dedans pour y saisir un paquet de mouchoirs, quand un éclair vif apparu et une silhouette pataude se matérialisa devant elle.

- Psykokwakkk ! Fit le Pokémon canard, en levant les pattes au ciel, enchanté de sortir de sa Pokéball.
- Mais… Psykokwak… Qu’est-ce que tu fais là ? Réagit Ondine, ébahie. Je… Je… ne t’avais pas pris…
- Psyko ! Psykokwak !
- Tu voulais rester veiller sur moi… C’est ça ?
- Psy ! Psy ! Répondit le Pokémon en se balançant sur ses pattes d’un air enjoué.

Puis il courut vers sa dresseuse et se blottit contre elle en frottant la tête contre sa poitrine.

- Oh… Psykokwak… Tu es un amour… fit Ondine, émue, en serrant son Pokémon dans ses bras.
- Psykokwak ? Fit son ami en se décollant de son torse et en penchant la tête sur le côté, d’un air inquiet.
- Ne t’inquiètes pas Psykokwak, ça va aller. C’est passager, ça va passer, répondit Ondine en souriant faiblement.

Elle reprit son Pokémon dans ses bras, qui se laissa faire, trop heureux d’avoir un câlin et de ne pas s’être fait réprimander pour être sorti de sa Pokéball sans permission.

Pendant que Psykokwak profitait de son moment privilégié, Ondine réfléchissait.
A l’évidence, elle était amoureuse de Sacha. Il n’y avait pas d’autre explication. Cette fois-ci, elle ne pouvait plus se mentir. Tant qu’il ne s’agissait que d’écrire de petits mots dans un carnet ou de soupirer à l’idée qu’elle et lui ne seraient jamais ensemble ou ne se voyaient plus, on pouvait encore parler de mélancolie. Mais ce qu’elle ressentait, là, maintenant, tout de suite, c’était bien plus que de la mélancolie, et elle en était malheureusement que trop bien consciente.
Ce fut donc sa seconde révélation.
Elle était toujours amoureuse de Sacha.
Bizarrement, cette idée la fit rire nerveusement et son rire entrecoupa ses sanglots.

Hahahaha, se dit-elle, je suis trop bête ! Je suis trop bête ! Quelle pauvre fille !

Qu’allait-elle faire maintenant ?

Manifestement, si elle était autant atteinte par la situation actuelle, c’est qu’une partie d’elle avait encore l’espoir que Sacha partage ses sentiments. Mais à priori, au vu des évènements récents, elle s’était trompée.

Comme elle en avait peur initialement, Sacha ne lui avait demandé son aide que pour le côté pratique de la chose. Comment pourrait-elle en arriver à une autre conclusion puisque juste avant, il était en train de batifoler dans les bras de cette fille ? Et combien y en avait-il eu d’autres pendant son aventure ? Elle ne le saurait jamais, et cette pensée la rendit malade.
Non, Sacha n’avait jamais été amoureux d’elle, et ne le serait jamais. Il fallait qu’elle revienne sur Terre et qu’elle arrête de faire tourner son monde autour de lui.

Ondine porta une main à ses joues, surprise de constater qu’elle ne pleurait plus.
J’ai épuisé mon stock de larmes, marmonna la jeune fille, se moquant d’elle-même.

Bon, et bien. Elle allait finir sa mission. Retrouver cet Alakazam et rentrer chez elle. Elle quitterait Jude, qui méritait bien mieux qu’elle et malgré la crise et les reproches de ses sœurs, elle fermerait l’arène pour un moment. Elle ne devrait pas avoir de mal à trouver un remplaçant pour quelques temps, l’arène s’était faite un nom après tout. Oui, elle ferait cela. Et elle reprendrait les routes, seule, avec ses fidèles Pokémons. Elle repartirait à la rencontre de son rêve, devenir Maitre Pokémon Eau.

- Ondine ! Ondine ! Ondine, où es-tu ? Ondine ?

Sortant des fourrés, Sacha tomba nez à nez avec sa vieille amie, appuyée contre un arbre. Les cheveux ébouriffés, les genoux sanguinolents, les yeux rougis, elle faisait peine à voir. La jeune femme, qui serrait son Psykokwak contre elle comme une enfant serrerait sa peluche, le regarda quelques instants comme un animal farouche prêt à s'échapper.

- Ondine, ça, ça... va ? Bégaya maladroitement Sacha, tout en sachant bien que non, ça n'allait sûrement pas.