L'Alakazam qui ne voyait pas [Aventure/AAML] TERMINEE

* Dring driiing *
- Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Chéri, tu as entendu sonner ?
- Mmmm…

* DRINNG *
- Mais qui ça peut bien être à cette heure-ci…

La femme aux longs cheveux s’extirpa péniblement de son lit et enfila une longue robe de chambre en soie qu’elle noua grossièrement à sa taille fine.

- Je vais voir, ça doit sûrement être important.
- Mmm…gnnn…. Mais non reste au lit… C’est sûrement des gamins qui reviennent de soirée et qui ont trop bu… Reste là…

* DRINNNNNNGGG !!! *
- Je ne pense pas, ils n’insisteraient pas autant… J’espère juste que ce n’est rien grave, fit la femme en enfilant rapidement une paire de ballerines.

Cette histoire commençait sérieusement à l’inquiéter.

- Je descends, je reviens vite, murmura-telle à l’oreille de son cher et tendre qui s’était caché la tête sous son oreiller pour ne plus entendre les sonneries intempestives.
- Sois prudente, marmonna-t-il, du fond de sa cachette.
- Haha, je sais me défendre, ne t’en fais pas !
- Oulah, oui je sais… Allez, va vite voir et remonte te coucher…

La femme se fraya un chemin dans le noir et attrapa sur sa commode une Pokéball qu’elle glissa dans la poche de sa robe de chambre, au cas où. Elle sortit de la pièce, ferma délicatement la porte, parcouru l’étage et descendit les escaliers pour arriver dans l’entrée de l’arène. Les sonneries se multipliaient, de plus en plus agressives.

- J’arrive, j’arrive ! Arrêtez de sonner ! S'exclama-t-elle en pressant le pas.

Quand elle arriva devant la porte, elle resserra les pans de sa robe de chambre, lissa un peu sa crinière verte derrière ses oreilles, secoua un peu la tête pour bien se réveiller, puis ouvrit.

Elle tomba directement nez à nez face à une furie. C’était bien le cas de le dire. La jeune femme qui se trouvait devant elle avait l’air complètement folle et la lumière diffuse du lampadaire qui se reflétait sur son visage rougi ne transformait la scène qu’en un tableau encore plus effrayant. Ses cheveux roux étaient totalement ébouriffés, elle haletait comme si elle était au bord de l’épuisement et ses grands yeux clairs balayaient les environs comme un Pokémon perdu.

Qui était-ce ? Elle lui disait quelque chose.

Ce ne serait pas la championne d’Azuria ? Se demanda la femme. Mais c’était une dresseuse de Pokémons Aquatiques, que faisait-elle donc avec un Pikachu sur l’épaule ? Un Pikachu en aussi piteux état qu’elle d’ailleurs.

- Mademoiselle… Williams ? C'est bien vous ? Se risqua-t-elle.
- MORGANE ! Vous êtes Morgane c’est ça ? Hein ? C’est vous Morgane ? Ah… Ffff…. Je n’en peux plus… Balbutia la jeune fille, le souffle court.
- Pika… Pikapikapikapi….
- Oui, je suis bien Morgane, la championne de cette arène. Que me voulez-vous ? Vous réalisez qu’il est minuit passé ?
- Pardon… Je suis vraiment désolée. Je m’appelle Ondine, je suis la championne d’Azuria et je… Et je…

Ah c’était donc bien elle, se dit Morgane, je me disais… Mais que faisait-elle ici à cette heure tardive ? Avait-elle eu un problème avec son arène ? La pauvre fille semblait au bord de l’évanouissement, on aurait dit que…

- Mademoiselle Williams ?! Mademoiselle ?

La jeune fille venait de s’effondrer littéralement sous ses yeux. Morgane se baissa rapidement pour l’aider à se relever. Les yeux d’Ondine restaient mi-clos et ce qu’elle bégayait n’avait aucun sens.

- Suis-moi Pikachu, fit Morgane à la souris électrique qui avait sauté sur le sol et qui menaçait aussi de s’écrouler. Ta maitresse ne va pas bien du tout, je ne sais pas ce qu’il vous est arrivé, mais je ne vais pas vous laissez comme ça dehors.
- Pika… Souffla Pikachu, soulagé.

Et il suivit Morgane en clopinant, intimidé par cette arène immense qui se dressait comme un dôme fantomatique au milieu de la nuit noire.

Quand Ondine rouvrit les yeux, elle était allongée sur un canapé sombre encombré d’une multitude de coussins. Elle voyait des lumières danser devant elle et sentait de nombreux picotement dans ses jambes.

Où suis-je ? Se demanda-t-elle. Ah oui c’est vrai… J’étais à Azuria et j’ai ouvert la porte… Et Pikachu… Et la lettre… Je devais absolument voir quelqu’un, pour quelque chose d’important. Pour…

- Sacha !!! Cria-t-elle brusquement, en se redressant sur le canapé.
- Du calme, du calme. Reste allongée. Tiens bois-ça. C’est du thé sucré, ça va te réveiller un peu et te donner de l’énergie, dit Morgane en lui tendant une tasse en porcelaine.
- Morgane ? Fit doucement Ondine, en émergeant doucement de sa torpeur.
- Oui c’est moi. Ne t’en fais pas, tu es en sécurité ici. Repose-toi, tu as l’air exténuée. J’ai prévenu mon époux que nous avions des invités. Tu peux passer la nuit ici si tu le souhaites. Ça ne t’embête pas si je te tutoie ?
- Non, peu importe, On... On... S'en fiche, mais… Mais je, je je n’ai pas le temps de me reposer… Je n’ai pas le temps… Où est Pikachu ? Répondit Ondine, agitée.
- Mais calme-toi, Pikachu va bien, il dort, la rassura Morgane en lui pointant du doigt un large fauteuil où le petit Pokémon jaune dormait paisiblement.
- Merci Morgane… Pardon, je ne sais plus où j’en suis… Je n’en peux plus…
- C’est ce que j’ai cru remarquer, que t’ai-t-il donc arrivé ? Répondit Morgane d’une voix douce, en s’asseyant à ses côtés et en lui posant la tasse chaude dans les mains.

La chaleur de la porcelaine apaisa la jeune femme, mais elle ne savait pas du tout par quoi commencer. A raconter à haute voix, son histoire allait sans doute sembler à son interlocutrice complètement invraisemblable. Ondine prit une grande respiration et porta la tasse à ses lèvres tout en essayant de mettre de l’ordre dans ses pensées.

- Ok, je vais tout te raconter… Je peux te tutoyer aussi ?
- Oui, pas de problème.
- Mais je te préviens, tu vas avoir du mal à me croire.
- Oh tu sais, les histoires qu’on a du mal à croire… Tu as trouvé la bonne personne à qui les conter… Répondit Morgane, avec un sourire maternel. J’ai vu plus de choses étranges que tu n’en verras sûrement jamais tu sais.
- Et bien voila…

Et Ondine commença à raconter son histoire depuis l’instant où elle avait ouvert la porte sur Pikachu, quelques jours plus tôt. A un certain moment de son récit, elle sortit la lettre de Sacha de la poche de son short en jean. Elle était toute chiffonnée, du aux nombreuses relectures qu’elle avait subites, mais encore bien lisible.  Morgane prit la lettre et la lue doucement, tout en continuant à écouter ce que racontait Ondine. Il sembla d’ailleurs à la jolie rousse que le regard jusque là doux de la femme à ses côtés, se durcissait.

Elle avait l’impression de se tenir à nouveau devant cette jeune femme glaciale qu’elle avait rencontrée au début de son voyage avec Sacha, longtemps auparavant. Avait-elle dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?

- Et donc voila, je sais que ça peut sembler bizarre, mais je crois vraiment que Sacha est là, quelque part, à côté de nous. Tu es la seule à pouvoir nous aider. Tes connaissances en pouvoirs psychiques sont…
- Sacha n’est plus là.
- Que… quoi ?! Fit Ondine, choquée.
- Sacha n’est plus là, répéta lentement Morgane.
- Mais… Mais comment ça, il n’est plus là ? Il, il est où ?! Il est forcément quelque part ! Et puis, comment le sais-tu ? Il… Il n’est pas… Mort… Quand même ? Ajouta Ondine, horrifiée.
- Non, il n’est pas mort, fit Morgane, le regard éteint. Il est simplement, comment te dire, dans une autre réalité.
- Une autre réalité ?
- Oui, il est là sans être là. Laisse-moi t’expliquer. Quand cet Alakazam lui a lancé son attaque, une attaque Psycho très particulière d’ailleurs, il a plongé ton ami dans son monde à lui tu vois.
- Comme quand… Tu…
- Oui, voilà.

Les deux femmes faisaient bien sûr référence à leur première rencontre qui n’avait pas été des plus évidentes et où Morgane les avait plongés, Pierre, Sacha et elle, dans un univers parallèle étrange et effrayant. L’histoire s’était finalement bien terminée, Sacha avait pu gagner son badge et Morgane semblait avoir retrouvé une certaine joie de vivre, elle qui était si froide et distante.

- Tu en es certaine ? Balbutia Ondine.
- Oui.
- Mais comment peux-tu en être sû…
- Je le sais, c’est tout. C’est toujours pareil.
- Toujours pareil ?
- Oui, au début il a du se sentir simplement mal, puis c’est son corps qui a du disparaitre. Il est probablement resté quelques jours comme ça, à flotter entre les deux mondes, puis a fini par basculer dans la réalité du Pokémon qui l’avait attaqué. Ce Pokémon devait être vraiment puissant, sais-tu où il se trouve exactement ?
- Non, je ne sais pas. Tout ce que je sais est écrit dans cette lettre.
- Je vois.

Ondine vit Morgane se perdre dans ses pensées. Elle marmonnait des choses incompréhensibles. Elle avait l’air plus préoccupée par l’existence de cet Alakazam que par le sort de Sacha.

- Morgane ?
- Mmmm ? Répondit la femme en relevant la tête vers Ondine.
- Pour Sacha, on doit bien pouvoir faire quelque chose hein…

Des larmes commençaient à perler aux coins des yeux de la jeune femme, ses mains s’étaient mises à trembler et faisait vibrer la tasse qui versait autour d’elle de petites gouttes de thé.

Morgane n’avait pas réalisé à quel point Ondine tenait à ce Sacha. Il ne fallait pas qu’elle pense uniquement à ce Pokémon Psy qui répandait d’aussi puissantes attaques, même si…

- C’est ton petit ami ?
- Pardon ?
- Ce Sacha, c’est ton petit ami ?
- Non, non… Mais pas du tout, je, je suis fiancée !
- Ah bon, tu ne t’es peut-être pas fiancé au bon alors, maugréa Morgane.
- Quoi ?! Mais je ne te permets pas de me moquer de moi comme ça ! Si c’est comme ça et que de toute façon tu ne peux rien faire, je m’en vais ! Pikachu réveille-toi, on s’en va ! On trouvera un autre moyen pour sauver Sacha ! S’énerva la championne d’Azuria.

Non, mais de quel droit elle lui parlait comme ça, celle-là ? Pensa-t-elle, énervée et à bout.

- Pika ? Répondit Pikachu en baillant, éveillé par le bruit.

Ondine se leva brutalement et posa la tasse sur la table basse. Elle prit Pikachu dans ses bras et ramassa son sac. Elle avait à peine fait deux pas que Morgane la rattrapa et l’arrêta.

- Pardon, excuse-moi Ondine. Je n’aurais pas du, c’était déplacé.

Contre toute attente, la jeune fille ne répliqua pas, mais se retourna en larmes et se blottit en sanglotant contre Morgane qui la serra dans ses bras.

- Ça va aller Ondine… Ça va aller...
- Non… Non ça ne va pas aller… Je suis désolée, mais il me manque tellement… Je, je donnerai n’importe quoi pour le revoir… Pourquoi… Ce n’est pas juste…
- On peut encore le sauver tu sais…
- Vraiment ? Fit Ondine en relevant la tête, le visage noyé dans les larmes. Comment ? Dis-moi ! Je ferai n’importe quoi !
- J’ai un Abra très puissant, chuchota Morgane. Il ne connaît que Téléport, mais tu n’as même pas idée de l’ampleur de son pouvoir.
- Oui et… ? Continue !
- Et bien, cela risque d’être très dangereux, et peut-être que tu ne pourras pas revenir, mais…
- Mais ?
- Je peux t’envoyer là-bas. Dans la conscience de l’Alakazam. Ramener Sacha.

Ondine avait retrouvée sa place sur le canapé, Pikachu lové dans ses bras, et attendait Morgane. Celle-ci lui avait promis qu’elle reviendrait vite, mais les minutes passaient et elle n’était toujours revenue. Que faisait-elle ? La jolie rousse trépignait d’impatience. Elle était partagée entre l’euphorie, la fatigue et la peur. Mais Morgane le lui avait dit, il y avait un moyen de sauver Sacha. Un moyen de sauver Sacha. Y arriverait-elle ?

- Tchu… Souffla la petite souris électrique.
- Moi aussi j’ai peur Pikachu, lui répondit doucement Ondine en lui caressant la tête. Mais ne t’inquiètes pas, on va le ramener. Je te le promets.

Au fil des jours, un lien d'abord timide puis plus fort c’était développé entre les deux vieux amis, et Ondine comprenait de mieux en mieux Pikachu quand il lui parlait. Elle espérait retrouver ce lien qui l'unissait aussi à Sacha, avant qu'ils ne se perdent de vue. Sacha...

La jeune femme releva brusquement la tête, tandis que Morgane faisait irruption dans la tête, un petit Abra dans les bras. Quand Ondine vit le petit Pokémon Psy qui ne semblait rien avoir d’extraordinaire et qu’elle se dit que tous ses espoirs reposait sur celui-ci, un doute l’assaillit.

- Tu es prête ? Lui demanda Morgane solennellement, en se mettant face à elle.
- Tu es certaine que cet Abra peu m’amener là où je dois aller ?
- Bien sûr, ne te fis pas à son apparence. C’est un de mes plus puissants Pokémons. Par contre, ajouta la femme aux longs cheveux verts, tu ne pourras pas prendre Pikachu ni aucun autre de tes Pokémons.
- Je m’en doutais un peu…
- Abra ne sera pas assez fort pour vous y amener tous.

Ondine se releva au niveau de la championne et posa Pikachu sur un gros coussin sombre.

- Pika… Fit Pikachu, très inquiet.
- Je sais Pikachu, mais ne t’inquiètes pas, je vais y arriver. Je te confie mes Pokémons, tu les surveille bien d’accord ?
- Tchu Pika Pika !
- Merci Pikachu, tu es un vrai ami, lui dit Ondine en souriant tristement et en lui grattouillant le dessous du menton. Morgane ?
- Oui ?
- Ce sera… comment ?
- Je ne sais pas, c’est aléatoire. Mais n’y reste pas trop longtemps, tu pourrais ne plus en revenir.
- Comment je ferai pour ramener Sacha si je le retrouve ?
- Si Sacha a suffisamment de volonté pour rentrer, alors Abra vous ramènera.

Ondine déglutit lentement. Elle n'était certaine d'avoir bien saisi le sens de ce que Morgane venait de lui dire.

- Et sinon ? Se risqua-t-elle, la voix chevrotante.

Morgane ne répondit pas et la jeune femme n’insista pas. Elle était assez grande pour comprendre et pas assez stupide pour se décourager d’avantage.

- Ok, alors on y va, fit-elle sérieusement en fixant Morgane dans les yeux.
- Bien. Abra. Téléport. Ordonna froidement la dresseuse de Pokémons Psy.

Ondine ferma les yeux et se mordit la lèvre. Sacha, j’arrive, attends-moi, courage, j’arrive… Se répéta-t-elle. Tu verras, je te sortirai de là et après… Et après… Et après quoi ? Qu’est-ce qu’elle espérait, elle allait bientôt se marier.

Mince ! Elle n’avait pas prévenu Jude de ce qu’elle faisait.

Elle ouvrit subitement les yeux.

- Morgane ! Att… !

Que, quoi ? Où-suis-je ? Ondine regarda autour d’elle. Elle n’était plus dans l’arène en compagnie des autres. Abra avait déjà du lancer son attaque.

Le monde qui l’entourait l’étouffait déjà, une ambiance malsaine régnait dans les lieux. Pourtant, c’était l’arène où elle se trouvait quelques secondes auparavant. Enfin, ça y ressemblait. Mais les contours des murs se noyaient les uns dans les autres et elle était seule. Et elle avait froid, très froid.

Ondine avança au hasard, comme un fantôme, dans un paysage flou en noir et blanc. Des ombres à l'allure humaine vacillaient à ses côtés, de plus en plus nombreuses. On eut dit qu’elles lui tendaient des bras que la jeune femme tentait maladroitement de repousser. L’angoisse commença à envahir Ondine et elle courut vers ce qui ressemblait à la porte d’entrée de l’arène. Sans aucune hésitation, elle tourna la poignée et ouvrit la porte.

Devant elle, un vide immense. Un gouffre noir. Rien à l’horizon. Seulement des bourrasques d’air froid. Elle se retourna, derrière elle, tel un monstre terrible, se dressait l’arène. Les ombres se matérialisèrent en silhouettes et s’approchèrent d’elle en sifflant : Vas-t'en… Vas-t'en… VAS-T'EN !

Ondine paniqua et se jeta dans le vide, mais curieusement elle ne tomba pas, comme si un sol invisible la soutenait. Vite, elle se remit à courir sans regarder derrière elle. Quand elle se retourna enfin, l’arène avait disparu dans une brume énigmatique. Devant elle semblait se dresser une immense forêt.

Comment allait-elle retrouver Sacha dans cet endroit ? C’est donc là qu’il était ? Quelle horreur…

La jeune femme tenta de se ressaisir. Les ombres était parties et elle continua à marcher en essayant de garder son calme. Arrivée à la lisière de la forêt, elle essaya de ne pas trop réfléchir à ce qu’elle faisait et s’y engouffra. De toute façon, elle n’avait pas le choix, n’est-ce pas ? Il fallait absolument qu’elle retrouve son ami et qu’elle le sorte de cet enfer.

Des hurlements retentirent soudain, hurlements qui n’avaient rien d’humain. Ondine fit la sourde oreille et continua son chemin.
Je n’ai rien entendu, se disait-elle, je n’ai rien entendu. C’est mon imagination. Juste mon imagination.



Sacha lui, recroquevillé contre un arbre de la forêt, se plaquait les oreilles à deux mains. Des sanglots lui agitaient la gorge.

Pitié, que quelqu’un me fasse sortir d’ici, pleurait-il. Je n'en peux plus, je n'en peux plus...

Les hurlements reprirent une dernière fois et s’estompèrent. Sacha relâcha la pression sur ses oreilles et balaya les environs d’un regard désespéré. Il avait déjà fait le tour de la forêt plusieurs fois, mais il revenait toujours à cet arbre blanc et à cette souche par terre. Comme si la forêt l’empêchait de partir. Il n’avait jamais eu un très bon sens de l’orientation, mais cette fois-ci, il y avait autre chose en jeu, il en était certain.

Sacha n’avait ni bu, ni mangé depuis des jours, et pourtant, il n’avait ni soif, ni faim. Il était épuisé, mais ne pouvait pas dormir. Il devait se faire à cette idée, il allait finir sa vie ici. Pire, il y passerait l’éternité, et comme l’Agent Jenny qu’il n’avait pas revue et qui devait être perdue comme lui dans la forêt, il allait devenir fou.

Dès qu’il le pouvait, le jeune homme fermait les yeux et essayait de visualiser : Ses amis, sa famille, son dernier combat, Pikachu, Ondine. Allait-elle réussir à le sauver ? Déjà, les souvenirs commençaient à s’estomper. A disparaitre comme lui avait disparu. Il n’arrivait plus très bien à imaginer son visage. Ondine ? Elle allait venir, c’est sûr. Mais qui était-ce ? Ondine. Ce prénom, ça lui disait quelque chose. C’est sûrement quelqu’un qu’il connaissait, mais qui ? Quelqu’un qu’il connaissait. C’était quoi son prénom déjà ? Le prénom de qui ?

- Argggg, ma tête, maugréa Sacha, en enfouissant son visage dans le creux de ses jambes.

Il ne parvenait plus à réfléchir.

Pourquoi voulait-il partir d’ici ? De toute façon, il n’y avait rien d’autre. Il pouvait rester là, ce n’était pas si mal après tout. Il y était en sécurité. Personne ne viendrait l’embêter ici. Plus de questions à se poser. Il n’avait qu’à dormir un peu, s’enfoncer un peu plus dans la forêt là où personne ne viendrait jamais le déranger et dormir un peu. Juste un peu. Il était si fatigué.

- Non Sacha, arrête, tu attends quelqu’un, marmonna-t-il. Il faut que tu restes à la lisière de la forêt, c’est là qu’on te retrouvera. Il faut rester éveillé.

Et Sacha resta éveillé, et attendit.
Qui ? il n’en avait aucune idée, mais il attendait et se répétait toutes les deux secondes : J’attends quelqu’un, j’attends quelqu’un, j’attends quelqu’un.

Il marmonna ces mots encore et encore et encore.



Pendant ce temps, Ondine, qui était rentrée dans la forêt, fut pétrie d’effroi par les lieux. Elle décida immédiatement de ne pas se diriger vers son centre qui lui semblait encore plus dense, noir, et effrayant que le reste, mais d’en faire d’abord le tour. Elle marcha de longues minutes, le cœur battant la chamade, Sacha n’était nulle part.

Attends-moi Sacha, se disait-elle.

Mais cela devait bien faire une heure qu’elle marchait et toujours pas de Sacha en vue. Soudain, elle trébucha et s’étala de tout son long. Quand elle se retourna pour voir ce qui l’avait fait tomber, elle hurla d’horreur. Il s’agissait d’un homme, sans doute mort, le visage livide tourné vers elle. Ondine se releva promptement et fit deux pas en arrière. Sacha ? Non, ce n’était pas Sacha, elle ne le reconnaissait pas.

- Mo… monsieur ? Vous, vous ?
- Mmmmm… Expira difficilement le corps en frémissant.

Bon sang, il est toujours vivant, se dit Ondine. Elle s’agenouilla près de l’homme et tenta de la relever, mais celui-ci retombait toujours. Il ne pouvait ni parler, ni s’exprimer autrement. Elle le regarda s’agiter comme un Magicarpe, pris de violents soubresauts sur le sol de cette forêt noire. Ses yeux s’embuèrent. Elle se sentait terriblement impuissante.

Qu’est-ce que je peux faire… Se demanda-t-elle. Il faut que j’aille chercher Sacha…. Et si jamais lui aussi, il était comme ça…

Ondine porta sa main à sa bouche. Elle avait envie de vomir. Elle se retourna et continua sa route, terrorisée, laissant derrière elle l’homme qui convulsait. Après quelques minutes de marche supplémentaires, il lui sembla apercevoir une silhouette appuyée contre un arbre blanc, près d’une vieille souche.

D’abord, Ondine hésita. Et si c’était encore un homme comme celui qu’elle venait de croiser? Ou une ombre effrayante comme celles de l'arène ? Mais si c’était Sacha ? Il fallait qu’elle aille voir.

- Sacha ? Chuchota-t-elle dans la pénombre.

Pas de réponse.

Ondine s’avança doucement jusqu’à arriver à quelques mètres de l’arbre.

- J’attends quelqu’un, j’attends quelqu’un, marmonnait un jeune homme en se balançant d’avant en arrière, les genoux ramenés sous le menton.

Ondine le reconnut immédiatement.

- Sacha ?!  C’est bien toi ? Haleta Ondine en s’agenouillant devant le jeune homme et le saisissant vigoureusement par les épaules.

Qu’est-ce qu’elle racontait ? Bien évidemment que c’était Sacha, mais bon sang que lui avait-on fait ? Il ressemblait actuellement plus à un zombie qu’à un être humain…

Ondine tenta de maitriser les tremblements dans sa voix. Elle resserra sa prise sur les épaules de son ami pour l’empêcher de continuer à se balancer comme il le faisait :

- Sacha ? Sacha… C’est moi, Ondine… Sacha, regarde-moi. Qu’est-ce que…
- J’attends quel-qu’un, marmonna le dresseur en relevant mollement la tête vers Ondine.
- Je… Sacha… C’est moi, Ondine…

Devant le regard vide et inexpressif de son ami, la voix de la jeune femme se brisa. Elle balaya les derniers centimètres de distance qui se dressaient entre elle et Sacha d’une étreinte désespérée. Serrant Sacha dans ses bras de toutes ses forces, elle se mit à sangloter silencieusement. Il était là, contre elle, après toutes ces années, mais il n’était plus que l’ombre de lui-même.  Ondine s’en voulait terriblement.

Je suis arrivée trop tard, se disait-elle.

Il fallait qu’elle se reprenne.
Il fallait qu’elle sorte Sacha de cette situation.
Il avait eu confiance en elle et elle avait promis.

- Sacha ?
- Mmmm… J’attends quelqu’un, répondit le jeune homme en tapant machinalement son pied contre le sol.
- Oui Sacha, c’est moi. C’est moi que tu attends, regarde-moi. Je suis là Sacha.

Sacha plongea ses yeux éteints dans ceux de la jeune femme, qui crut y déceler une lueur d’espoir.

- C’est... C'est vous ? Articula-t-il laborieusement. C’est vous que j’attendais ? Ah… Merci… Je n’en pouvais plus d’attendre, ajouta-t-il en essuyant du revers de sa main son front perlé de sueur froide. Qui êtes-vous ?

* Qui êtes-vous ? *

Cette question résonna dans la tête d’Ondine de longues secondes. Il ne faut pas que je craque, se disait-elle. Il est simplement désorienté, sa mémoire va revenir, c’est sûr.

Elle pensa à la mère du Maître Pokémon, à son Pikachu adoré.

Non, sa mémoire va revenir, c’est certain, essaya-t-elle de se convaincre.

- Je suis Ondine, prononça calmement Ondine en relâchant doucement son étreinte et en portant la main de Sacha sur son cœur. Tu ne te souviens pas ? Nous avons voyagé ensemble très longtemps quand nous étions plus jeunes. J’étais ta meilleure amie, et tu étais le mien. Concentre-toi Sacha, essaye de te souvenir.

Ondine fixait le jeune homme, sondant son visage à la recherche d’un tic, d’un détail, de quelque chose, de n’importe quoi, mais celui-ci restait de cire. A peine eu-t-elle relâché la main de Sacha que celle-ci retomba tristement sur le sol.

Ondine eut une idée. Elle sortit vite la lettre que lui avait écrite Sacha à propos de sa disparition, celle où il lui demandait son aide. Le pauvre papier avait été lu tellement de fois qu’il semblait menacer de se déchirer à chaque instant. Ondine lut la lettre, et la relut encore. Elle voyait les sourcils de Sacha se froncer sous l'effet de la concentration. Le jeune homme essayait de se souvenir, elle le voyait bien, mais il ne disait rien.

Ondine soupira, replia la lettre et la remis dans la poche de son short en jean. Elle sourit tendrement à Sacha, défaite, et lui reprit la main, entremêlant ses doigts aux siens.

- Je suis contente de te revoir…

Elle n’osait plus regarder son ami dans les yeux. Le froid se faisait de plus en plus glacial et elle frissonna violemment.

Et si Sacha ne se rappelait pas ? Alors, c’était la fin ? Ici ? Ce n’est pas juste… Se dit Ondine.

Elle se déplaça aux côtés de son ami amorphe et se blottit contre lui, la tête reposée dans le creux de son cou. Sacha avait la chair de poule, comme elle. Elle prit le bras du jeune homme et le plaça autour de ses épaules. Ils auraient plus chaud ainsi.

Sacha ne disait rien, il se laissait faire. On eut dit qu’il avait abandonné tout effort de se souvenir. Il n’avait plus de force sans doute, pensa Ondine.
La championne d'Azuria regarda auteur d’eux, impuissante. Elle avait l’impression que la forêt se resserrait davantage. Bientôt, elle les engloutirait. Cette peur la fit frémir. Sacha le sentit et se retourna vers elle :

- Je suis désolée, je ne me souviens pas.
- Je sais, ce n’est pas grave… Fit Ondine, complètement désespérée.
- Tu as l’air de beaucoup tenir à moi, c’est gentil d’essayer.

Les phrases prononcées par le dresseur étaient, malgré tout, de plus en plus travaillées, mais Ondine ne le remarquait pas. Elle était effondrée.

- Dis-moi, Ondine, c’est ça ?
- Oui…
- Est-ce que tu vas me faire sortir d’ici ?
- Je ne sais pas. Morgane, tu sais la femme de la lettre, m’a dit qu’il fallait que je te retrouve, et que si tu avais assez de volonté pour rentrer, le Pokémon qui m’a envoyé ici nous ramènerait.
- Ah d’accord…
- Sacha, tu ne veux pas rentrer à la maison ?
- A la maison ? Je ne sais pas où c’est… Je ne me souviens plus. Je n’arrive à me raccrocher à rien. Dis-moi, est-ce que toi et moi, on ? Enfin, est-ce qu’on est ensemble ?
- Ensemble ?
- Oui.
- Eu non… Je suis désolée, pourquoi me demandes-tu ça ?
- Je ne sais pas, tu as dis qu’on était meilleurs amis plus jeunes, et tu avais l’air de tellement te soucier de moi. J’aurais cru que… Tant pis. C’est dommage, j’aurais aimé avoir quelqu’un comme toi, sourit tristement Sacha en regardant la lisière de la forêt devant lui d’un air songeur.
- Les choses ne se sont pas exactement passées comme ça, soupira Ondine, en se blottissant d’avantage contre Sacha.

Elle reconnaissait son odeur. Elle était bien là. Cela pouvait sembler complètement insensé au vu de la situation, mais avec Sacha avec elle, elle se sentait en sécurité. Tant pis. Ils finiraient ici, ensemble.

- Qu’est-ce qu'il s’est passé ? Demanda Sacha, sortant la jeune femme de ses pensées négatives.
- Rien. La vie, tu sais. C’est tout.
- Ben dis-moi, peut-être que ça m’aidera à me souvenir. Je veux me souvenir, ajouta Sacha, appuyant sur sa seconde phrase.

Les propos de son ami étaient de plus en plus cohérents.

Tu dois te faire de faux espoirs ma vieille, se dit Ondine.

- Et bien, un jour j’ai du partir pour faire quelque chose d’important et je n’ai pas pu revenir.
- Mmmm… Ça n’a pas du être facile, répondit Sacha, perplexe.
- Non. Mais j’aurais voulu qu’on garde le contact et qu’on reste meilleurs amis.
- Pourquoi tu ne l’as pas fait alors ?
- Je l’ai fait. C’est toi qui ne m'as jamais répondu, et nous nous sommes perdus de vue.
- Ah… Répondit Sacha, d’un air grave. C’est moche ça.
- Comme tu dis…
- Tu pourrais me raconter ?
- Quoi donc ?
- Bien tout, depuis le début je suppose.
- Le début ?!
- On ne sait jamais, peut-être que je me souviendrai de quelque chose. S’il-te-plait, je ne veux pas rester là, j’ai… J’ai peur…

Ondine sortit de sa torpeur et fixa Sacha. Elle reconnut la détermination dans ses yeux, cette même détermination qu’elle connaissait si bien.
Sacha, le Sacha qu'elle aimait était toujours là.  De toute façon, elle n’avait rien à perdre.

Alors elle commença à raconter tout ce dont elle se souvenait, depuis leur rencontre. Elle parlait d’une voix monocorde, mais douce, et Sacha écoutait attentivement.

- Alors, c’était il y a très longtemps, on devait avoir 11 ans.
- 11 ans ? Waw effectivement, ça date ! La coupa Sacha.
- Oui, mais attends, ne me coupe pas comme ça sinon je ne pourrais pas tout raconter !
- Haha désolé, fit Sacha, d’apparente bonne humeur. J’aime bien t’écouter, continue.

Il lui fit un sourire, le premier depuis qu’elle le retrouvait et Ondine sentit son cœur se briser en mille morceaux. Elle continua à raconter son histoire, des heures et des heures durant.

Sacha écoutait silencieusement la jeune femme blottie contre lui. Il sentait sa chaleur et se sentait bien.

Il l’avait vue arriver quelques heures plus tôt devant lui. Elle s’agitait, prononçait des phrases qu’il ne comprenait pas et qui venaient s’enliser dans son esprit cotonneux. Peu à peu, il avait finit par saisir ce que cette jolie rousse tentait de lui dire. C’était donc elle qu’il attendait. C’est vrai qu’elle lui semblait familière. Il fallait qu’il se concentre, qu’il essaye de se souvenir. Pour rentrer chez lui. Il sentait l’envie de retourner auprès des siens qui grandissait dans son ventre, mais il ne se rappelait pas. Il fallait qu’il se concentre plus.

C’était comme si s’agitaient devant lui les clés pour sortir de sa prison, mais qu’il n’arrivait pas à les saisir. Ses doigts glissaient à leur contact, mais il ne pouvait pas les attraper.

Remotivée, Ondine continuait son histoire. Elle parlait d’une forêt, d’un Chenipan. Le premier Pokémon qu’il aurait attrapé, qu’elle en avait une peur bleue. La jeune femme semblait prise dans son récit, elle mimait avec de petits gestes tout ce qu’elle racontait.

De temps en temps, des flashs de souvenirs jaillissaient dans l’esprit de Sacha, comme des rayons de lumières venant éclairer sa mémoire sombre. Au fur et à mesure que les heures passaient, les flashs se faisaient de plus en nombreux. Sacha sentait l’excitation monter en lui, il se souvenait. Il se sentait reprendre possession de ses moyens. Il regardait Ondine qui était partie pour ne jamais s’arrêter de parler. La bouche de la jeune femme était sèche et elle commençait à avoir du mal à trouver ses mots.

Il ne faut pas que je m’emballe, se dit Sacha. Il faut que j’attende de me sentir de nouveau complètement moi. Que le malaise passe.

Il se tut donc, n’osant respirer trop fort. Ondine blottie ainsi contre lui le mettait mal à l’aise, mais le rendait tellement heureux.  Le cœur du jeune homme battait plus fort dans sa poitrine.

- Et là tu vois ton Dracaufeu à prit le Magmar du champion par la taille et a fait une Frappe Atlas. C’était très impressionnant…
- Ondine ?
- Oui ?
- Ondine…

La jeune femme se figea. Elle sentit le bras de Sacha qui entourait son épaule se serrer autour d’elle. Sacha se retourna vers Ondine et la serra franchement dans ses bras. Elle sentit contre elle le cœur du jeune dresseur qui battait la chamade et elle l’entendit sangloter.
Il se souvenait.

C’est vrai ? Se demanda Ondine. Il se souvient ?

Elle n’osait pas poser la question à haute voix. Elle sentit la main douce de Sacha glisser dans ses cheveux roux et s’appuyer contre sa nuque. Elle frissonna de tout son être et rendit son étreinte à son ami. Envahie par l’émotion, elle était incapable de prononcer un mot. Les doigts timides de Sacha lui caressaient le haut du dos, comme pour s’assurer qu’elle était bien là avec lui.

- Ondine… Tu es venue me sauver, merci… Merci tellement...

Ondine était incapable de répondre. Elle ne fit qu’enfouir sa tête un peu plus contre Sacha qui l’embrassa fébrilement sur la tempe. Il ne voulait plus la lâcher.

Soudain, une lumière apparut devant les amis retrouvés et la silhouette d’un Abra se matérialisa. La voix familière de Morgane résonna dans les lieux :

- Abra. Téléport.