L'Alakazam qui ne voyait pas [Aventure/AAML] TERMINEE

- Jude ? Tu m’entends ?
- Oui ça y est, ne bouge plus !
- Je suis désolée on ne capte pas grand-chose sur cette route.
- Ne t’en fais pas, là je t’entends bien, où en es-tu, tu vas bien ?
- Oui, oui, tout se passe bien, Pikachu est en forme. Le premier jour de marche était un peu compliqué, mais aujourd’hui ça va.
- Tu n’as pas eu trop peur cette nuit tout seule ?
- Non ça va… Sa… Pikachu était avec moi. Je devrais arriver à Safrania ce soir je pense, je pensais que ça me prendrait plus de temps !
- C’est parce que tu marches vite ça…
- Sûrement, mais en même temps le temps presse. Bon je te laisse, merci d’avoir appelé.
- Il faut bien que je t’appelle, sinon tu ne l’aurais pas fait, pas vrai ?
- Mais si… Mentit Ondine, qui avait complètement oublié son fiancé. Qu’est-ce que tu racontes ! Bon j’y vais, à bientôt, bonne journée !
- Bonne journée à toi aussi ma ché… *bip bip bip*

Bon… Et bien... Quel accueil, se dit Jude, en reposant à côté de lui son téléphone portable. Je penserai que ça lui ferait un peu plus plaisir que cela que je l’appelle.

Il regarda l’heure en face de lui : 8h00.

J’aurais peut-être du attendre un peu plus longtemps, elle ne devait pas être encore bien réveillée. Oui, ça doit être ça.

Son regard se porta un peu plus loin, sur un carnet imposant qu’il avait descendu de la chambre et posé sur la table de la cuisine. Il s’était bêtement assis dessus en allant se coucher la nuit dernière et l'avait fait tomber. Après avoir allumé la lumière et ramassé l'objet par terre, il l'avait ouvert, et dès les premières pages, il avait compris. C’était le journal intime de sa fiancée. Et depuis longtemps d'ailleurs si on en jugeait les dates des premières annotations. C'était tentant, mais Jude avait aussitôt refermé l'ouvrage. Il n’avait pas le droit de le lire. Mais la tentation était grande, et maintenant voila qu’il le dévisageait, objet insolant trônant devant lui. Que faire ? Peut-être que le lire ne serait que rendre service à son couple ? Il sentait bien qu’Ondine était étrange dernièrement. Certes, elle avait toujours eu un caractère bien trempé, mais quand même, en ce moment, c’était particulier.

Pendant que Jude formulait de multiples scénarios dans sa tête, de plus en plus loin de lui, sa fiancée n’en faisait pas autant.

Ondine était debout depuis l’aube et Pikachu sur son épaule, les deux amis continuaient leur route d’un pas décidé. La jeune femme s’efforçait de ne penser à rien et de simplement regarder droit devant elle. Il fallait qu’elle économise ses forces, il fallait qu’elle arrive avant que la nuit tombe. La présence qu’elle sentait à côté d’elle se faisait de moins en moins forte et la jeune femme avait beau se dire que ce n'était qu’une impression trompeuse, l’inquiétude commençait à l’assaillir.

Est-ce que Sacha allait bien ? Est-ce qu’il était toujours là ? Elle n’avait aucun moyen de le savoir et cette pensée lui glaçait le sang.

Ondine avait d’ailleurs raison de s’inquiéter autant. Ses sens devaient être bien aiguisés, car en effet l’état de Sacha n’allait qu’en empirant.

Quelques heures auparavant, quand ses paupières s’étaient ouvertes, le dresseur avait tout d’abord cru qu’il rêvait encore. Comme si la réalité dans laquelle il venait de se réveiller n’était pas la sienne. Il reconnaissait Ondine, endormie à ses côtés, Pikachu un peu plus loin et les arbres de la forêt, mais il ne pouvait maintenir son regard sur eux sans que cela lui déclenche de terribles maux de tête. Et quand il levait les yeux aux ciels, c’était comme si celui-ci tournait et l’emmenait dans sa danse. Il devenait fou et soudain, plus rien, les ténèbres. Quand il ouvrait à nouveau les yeux, le paysage environnant avait perdu ses couleurs, Ondine lui paraissait lointaine et irréelle. La sensation durait quelques minutes, puis tout revenait à la normale.

Le souci, c’est que depuis son réveil, ces épisodes se succédaient de plus en plus vite et duraient à chaque fois plus longtemps.

Je vais mourir, pensait Sacha… Je vais mourir… Et ma dernière vision sera celle de la fille que j’ai aimé et que je n’aurais même pas pu prendre dans mes bras avant de partir… Mais quel idiot j’ai été, mais quel idiot !

Le jeune homme vit Pikachu se tourner vers lui, tandis qu’Ondine pressait davantage le pas.

On dirait qu’ils sentent que ça ne va pas, se dit Sacha… Mes amis… Je suis désolé… Je vous promets que si je m’en sors, j’essayerai de devenir raisonnable… Pikachu... Tu me manques...

Les heures passèrent lentement, trop lentement. Ondine ne s’arrêta même pas pour manger, elle grignota son sandwich tout en continuant à marcher. Elle commençait à avoir des crampes dans les jambes.

Sacha la dévorait littéralement des yeux dès que ses sens confus le lui permettaient. Il profitait de ces images qui lui paraissaient être les dernières. Ondine avait changé. Elle s’était incroyablement endurcie avec les années. Il l’admirait. Il aurait aimé pouvoir lui dire.
Aie ce mal de tête…
Pour la énième fois de la journée, un flash noir balaya son horizon.

- Fais comme d’habitude, siffla-t-il. Ça va passer... Ça va passer...

Mais les couleurs ne revenaient pas, Ondine s’éloignait de plus en plus et finit par disparaitre dans la brume avec Pikachu.

- Ondine !!!! Pikachu !!!??? Hurla-t-il.

Sacha se retrouva seul sur la route, dans un décor en noir et blanc. Il n’y avait aucun bruit, il ne ressentait rien. C’était la même route que tout à l’heure, et pourtant elle était différente.

Est-ce, est-ce que je suis mort ? Se demanda-t-il. C’est ça, la mort ? Non ce n’est pas possible.

Porté par un élan de panique, il se mit à courir le long de la route :

- Pikachuuuuuuu ! Ondine !!! Où êtes-vous ?!

Ils sont forcément là, ils sont forcément quelque part, ils sont…

- Qu’est-ce que c’est que ça ? Fit-il soudain à haute voix, en ralentissant.

Quelques mètres devant lui, il lui semblait distinguer une silhouette. Au fur à mesure qu’il se rapprochait, il la reconnue.

- Agent Jenny ?!

La jeune femme aux cheveux bleus, habituellement toujours impeccable dans son bel uniforme, semblait au bord du gouffre. Ses traits étaient tirés et son teint livide. Elle ne sembla même pas entendre quand Sacha lui adressa la parole. Elle continuait son mouvement, et venait percuter encore et encore l’arbre devant elle d’un air hagard.

- Agent Jenny ? Mais qu’est-ce que vous faites, vous allez vous faire mal !

Sacha essaya de saisir la jeune femme, qui se retourna vers lui, le regard vide.

- Agent Jenny ? Que faites-vous ? Vous allez bien ? Demanda Sacha, la voix tremblante, même s’il connaissait déjà la réponse.

De réponse qu'il n'y eut point d'ailleurs. L’agent Jenny fit quelques pas et repartit dans la direction opposée en clopinant comme un pantin désarticulé pour finir par disparaitre au loin.

- Bon sang, je suis où… Murmura Sacha en regardant autour de lui.

Lui qui ne sentait plus rien depuis des jours commençait à avoir froid, très froid.
Pris par le désespoir, il poussa un long hurlement dans la forêt en tombant à genoux sur le sol.

- Pikachu ! Ondine !!!
- Pikachu ? Demanda Ondine, tu as entendu ça ? On aurait dit un cri.
- Pika pika ? Répondit la souris électrique, qui n’avait rien entendu.
- Bon, j’ai du rêver alors. Je commence vraiment à être fatiguée Mais bon, ne t’en fais pas Pikachu, je crois qu’on est bientôt arrivés à Safrania.

Pikachu dodelina de la tête. Lui aussi était fatigué, mais il ne fallait pas qu’il succombe à la fatigue. Et s’il ne revoyait jamais son dresseur ? Il leva les yeux aux ciel et aperçu un point distant et curieux.

- Tchu !
- Qu’est-ce qu'il y a, tu as vu quelque chose ?
- Pikachu ! Répondit le petit Pokémon en pointant de sa pâte le ciel.
- Je ne vois rien Pikachu. C’est à ton tour de rêver.

Pendant ce temps, dans les airs :

- James ! Idiot ! Tu as failli nous faire repérer ! Je t’ai dit de voler plus en retrait !
- Mais Jessie, je fais ce que je peux ! Tu n’as qu’à prendre les commandes !
- Prendre les commandes ? Tu es fou ? Pour abimer mes jolies mains !? Non non ça ira. Si seulement tu m'avais réveillée la nuit dernière, on serait déjà loin avec Pikachu !
- Non pitié ne recommence pas je sais, je suis désolé !
- Quel imbécile… On ne peut rien faire en pleine journée ! Continue à les suivre ! Mais de loin !
- Oui…
- J’aimerais vraiment savoir ce que manigance cette petite peste, marmonna la femme aux cheveux rouge. Je ne comprends pas…



- Je ne comprends pas, souffla Jude, les doigts serrés contre la reliure du carnet, les phalanges blanchies par l’énervement.

Il avait craqué bien sûr, et sa lecture le déconcertait au plus haut point. Les amourettes adolescentes, il voulait bien, c’était amusant. Il avait pris plaisir à lire ces quelques lignes sur sa chérie. Ses joies, ses peines, ses espoirs de l’époque. Savoir que sa fiancée avait été amoureuse de ce fameux Sacha quand elle était plus jeune ne le surprenait pas vraiment, c’était encore des enfants. Mais le reste…

Il avait presque fini l’intégralité du carnet et avait du mal à contenir sa colère. Alors comme ça, elle n’était pas sûr de se marier avec lui ? Au bout de 2 ans, elle ne savait toujours pas ce qu’elle voulait ? Et pour quoi ?  A cause des souvenirs de cet idiot de gamin puéril ?! Il lui avait absolument tout donné ! Tout ! Il avait abandonné son boulot pour elle, ses rêves de grandeur pour elle, sur un coup de foudre stupide. Qu’est-ce qu’il aurait pu faire de plus ? Il avait été parfait. Cela n’avait pas été facile de changer ainsi, radicalement, mais il l’avait fait pour elle. Pour se marier avec elle. Pour qu’elle soit sa femme, qu’elle lui appartienne. Avoir enfin quelque chose à lui, une famille. Ne plus travailler pour un patron tyrannique.

- Ondine... Pourquoi tu me fais ça ? Murmura-t-il, en pleurnichant comme un enfant, ses larmes venant s’écraser vulgairement sur les pages du carnet. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a de plus que moi ce type ?

Ondine… Alors toi non plus, tu ne valais pas mieux que les autres au final. Que j’ai été bête…

Au fur et à mesure que la folie et la rage imprégnait son être, Jude cessa de pleurer et son regard se durcit pour finir par se radoucir. Il se leva machinalement, tranquillement de sa chaise et alla se préparer un café brûlant qu’il but petite gorgée par petite gorgée en réfléchissant.
Ondine l’obsédait, depuis le premier jour où il l’avait croisé. Était-ce mal ?
Le café lui brûlait la langue et le faisait se sentir vivant.

Ça ne se passera pas comme ça, se dit-il. Ondine, tu es à moi.



- Pikachu regarde ! On est arrivés !
- Pikaaaa !

Nos deux amis commençaient effectivement à apercevoir des lumières au bout de leur route.

Les lumières de la ville, enfin, se dit la jeune fille, éreintée.

La nuit était tombée, mais ils y étaient arrivés.

Safrania, enfin nous voila, ne perdons pas une minute.

La dresseuse de Pokémons Aquatiques essaya de courir, mais ses jambes vacillèrent sous l’effort.

Ok, ok se dit-elle. Du calme, marchons simplement.

- Sacha, murmura-t-elle dans le noir, j’espère que tu es là et que tu tiens le coup. On est presque arrivés.
- Pika... Renchérit doucement Pikachu qui avait entendu Ondine.

Mais Sacha n’était plus là.