L'Alakazam qui ne voyait pas [Aventure/AAML] TERMINEE

Jude semblait se délecter de cet instant, comme si chaque seconde de celui-ci allait le nourrir pour des années entières. Un sourire mesquin ne voulait plus quitter son visage et sous une apparence moqueuse, ses yeux restaient froids et son regard, un puits sans fond. Son costume, légèrement plus travaillé que ceux des autres membres de la Team Rocket indiquait sans nul doute son appartenance à un rang supérieur au sein de l’association de malfrats.  Derrière lui, se tenaient quatre gardes, grands et imposants, accompagnés chacun d’un Magnéton.

- Détachez nos invité voyons ! Fit Jude en riant, à peine entré dans la cellule. Quelle image renvoyons-nous donc de la Team Rocket !

Pendant que deux sbires se dirigeaient vers Morgane et James, un autre s’approcha de Sacha et commença à lui défaire ses liens. A peine sentit-il la pression se relâcher sur ses poignets et chevilles que le jeune dresseur se jeta sur son attaquant avec l’énergie du désespoir. Un éclair lumineux balaya alors la pièce et dans un cri inhumain, Ondine tomba sur le sol et convulsa quelques secondes. Sacha lâcha alors brusquement sa victime et recula, horrifié.

- Ondine… Souffla-t-il en s’approchant à genoux de la jeune femme.

Mais il ne put faire un mouvement de plus que cette fois-ci, ce fut sur lui qu’un Magnéton envoya sa décharge électrique. Sacha sentit tous ses muscles se contracter et de sa tête blessée, se déversa une vague de douleur insupportable. Pourtant habitué aux attaques électriques de Pikachu, à bout de force, Sacha n’en pouvait plus.

- J’arrêterais de faire n’importe quoi si j’étais toi, articula calmement Jude en balançant la tête de gauche à droite dans une fausse moue enfantine.

Puis, sous le regard médusé du jeune dresseur, il s’agenouilla près d’Ondine et défit lui-même les liens qui la retenaient. La jeune femme tremblait, mais ne bronchait pas, un rictus de haine déformant son visage d’habitude si doux et paisible.

- Et bien Ondine… Murmura Jude d’une voix étrangement suave, en caressant la peau blanche des mains de la dresseuse. Ils t’ont bien abimée à ce que je vois…. Ajouta-t-il en appuyant volontairement sur les lésions à vifs laissées par le cordage trop serré.

Ondine releva vers son fiancé un regard sombre brouillé d’incompréhension et tendit sa main dans les airs dans un mouvement agressif, mais Jude la stoppa immédiatement et la rapprocha près de lui jusqu’à ce que ses lèvres ne se trouvent plus qu’à quelques millimètres de l'oreille de la championne d'Azuria, décomposée.

- J’avais changé pour toi Ondine, lui souffla-t-il, son front moite collé à sa tempe de la jeune femme.
- Qui... Qui es-tu ? Lui demanda Ondine.
- Dis moi petite sotte... Tu crois vraiment que cette nuit là, j’étais venu pour admirer les lieux ?
- Qu… quoi ?

De plus en plus mal à l'aise, Ondine essayait de s’extraire de l’étreinte douloureuse de Jude, mais son corps ne l’écoutait plus. Elle n’était plus qu’une poupée de chiffon dans les bras d'un adulte qui avait perdu l'esprit. L’haleine âcre de son fiancé, son souffle chaud contre son visage, tout cela la dégoutait. Elle aurait voulu disparaitre.

- Lâche-moi… Balbutia-t-elle.
- Si on m’avait dit que ce soir-là, je tomberai amoureux d’une créature comme toi… Continua-t-il.
- Lâche-moi… Je ne comprends rien à ce que tu dis !
- Mais quel idiot j’ai été… Ce soir-là, j’aurais du repartir avec tes Pokémons comme on me l’avait demandé...
- Tu… Tu voulais voler mes Pokémons ? Balbutia Ondine, interdite.
- Oui, mais tu m’as interrompu… Dès que je t’ai vu, j’ai su que tu serais à moi tu comprends… Fit Jude d’une voix douce, en caressant les cheveux de la jeune dresseuse. Des Pokémons, j’en avais déjà attrapés tellement, mais une femme…
- Mais…
- Avec une femme vois-tu, on peut faire des choses qu’on ne peut pas faire avec des Pokémons, ricana grossièrement Jude en glissant le dos de ses doigts des mèches rousses à la poitrine de sa fiancée.
- Lâche-là tout de suite ! S’emporta Sacha, dégouté.
- TOI TAIS-TOI ! Rugit Jude vers le jeune homme. TOUT CECI EST UNIQUEMENT DE TA FAUTE ! Ondine… Ondine... Ondine... J’avais menti à mon boss pour toi tu sais… Je lui avais dit qu’au lieu de voler tes Pokémons, maintenant que j’avais ta confiance, il valait mieux que je m’infiltre dans ta vie pour élaborer un plan à plus grande échelle. Quand tu me regardais, tu ne voyais rien. Mais je suis brillant Ondine, je suis brillant tu comprends... Continua l'homme, le regard fiévreux.
- Jude… Tu me dégoutes…. Bégaya Ondine.
- Je sais… Je t’ai toujours répugné dans le fond n’est-ce pas ? Mais je ne l’aurais pas fait Ondine… Je serai resté avec toi… Toujours… On se serait mariés, j’aurais été tien, et toi mienne. Et à notre mariage, nous serions partis ensemble…
- Pa…Partis…. ?
- Oui, notre amour aurait été éternel, répondit Jude en souriant à Ondine.

Son sourire était le même qu’autrefois. Ce sourire doux et confiant qu’il lui adressait à chaque fois qu’il appelait par tous ses surnoms mièvres. Son regard emplit de dévotion fit frissonner Ondine de la tête aux pieds. Elle avait envie de vomir. Si elle avait bien compris ce qu'elle venait d'entendre, il les aurait... tués ?

- Tu es fou… Balbutia la jeune femme.

Jude s’esclaffa à cette remarque et rejeta Ondine contre le sol de la cellule où elle atterrit violemment. Le rire tonitruant de l'homme qui avait perdu la raison fit presque trembler les lieux.

- Bon. Levez-vous !Ordonna-t-il soudain en arrêtant brusquement son cinéma. Je vous emmène dans la grande salle.

Voyant qu’à part Morgane ; debout, bien droite et silencieuse ; et James, caché derrière elle ; Sacha et Ondine était restés par terre, Jude réitéra :

- J’ai dit levez-vous ! Cracha-t-il dans la direction des deux amis.

Sacha se leva vite et accourut près d’Ondine, pour l’aider à se relever. Le corps meurtri de la jeune femme tremblait contre le sien.

- Ca va…. ? Lui chuchota-t-il.
- Sacha…
- Accroche-toi à moi… Tu vas pouvoir marcher ?

Ondine approuva tristement, des larmes amères ruisselant sur ses joues sales.

Jude, visiblement satisfait de son effet, sortit dans un geste théâtral.
Morgane, Sacha, Ondine et James furent donc escortés loin de leur cellule. Ils traversèrent un grand nombre de pièces et de couloirs dans ce dédale souterrain. Ondine s’appuyant beaucoup sur lui, Sacha avait du mal à avancer. Néanmoins, il essayait de rester concentré et de mémoriser tous les endroits où ils passaient.
Pikachu… Mes amis… Où-êtes-vous ? Se demandait-il, en imaginant le pire.

Après quelques minutes de marche dans ce labyrinthe qui avait du demander des années de réalisation, le petit groupe arriva dans une immense salle déjà encombrée par de nombreux membres de la Team Rocket. Certains étaient assis, d’autres debout. Cette pièce grouillait de monde. A son extrémité se tenait une estrade noire surplombée d’un lourd rideau de velours sombre.

- Nous y sommes, fit Jude, souriant.

Morgane, James, Sacha et Ondine furent assis de force sur de petites chaises pliantes en métal. Les gardes vinrent se positionner derrière eux avec leur Magnéton, Jude entre eux.

- Ne pensez même pas à vous enfuir… Leur cracha-t-il, d’un air malveillant.

Sacha, assis à côté d’Ondine, sentit les doigts frêles de son amie toucher les siens plusieurs fois et il lui prit la main. Elle était si froide... Sacha la serra davantage.
Tout à coup, toutes les lumières de la salle s’éteignirent. Seules celles éclairant la scène restèrent allumées.
Malheureusement, Sacha, qui pensait déjà à une nouvelle tentative d’évasion, se rendit compte que l’on y voyait encore bien trop pour qu’il puisse envisager de s’échapper.

Sous un tonnerre d’applaudissement, un homme fit soudain irruption sur l’estrade. Il était grand, élégamment impressionnant dans son costume trois pièces. La mâchoire carrée, les cheveux parfaitement soignés, il prit place devant ses sujets. A sa vue, James poussa un petit cri plaintif et s’enfonça davantage dans sa chaine. L’homme leva ses deux bras pour indiquer aux spectateurs de se taire, ce qu’ils firent immédiatement.

- Chers amis, fit-il d’une voix grave. Notre plan est un succès. Bientôt, tout Kanto sera à notre merci !

Une petite pausa marqua le fait qu’il était temps d’applaudir, puis de nouveau, il reprit la parole.

- Demain, quand cet Alakazam providentiel aura fini de récupérer son énergie, nous continuerons notre projet et bientôt nous serons les maitres de ce pays ! Ces imbéciles pensent qu’avec l’argent que nous demandons, nous rendrons ce que nous avons prit ! Mais nous savons tous que ce qui a disparu ne peut pas revenir ! Continua l’homme d’un rire grotesque. Non, nous prendrons l’argent… Et le pouvoir ! Bientôt la Team Rocket dirigera et le monde tremblera devant nous !
- Giovanni ! Giovanni ! Scanda le public, en transe, comme une secte devant son gourou.

Giovanni claqua des doigts et le rideau se leva, dévoilant, sous les yeux époustouflés de Sacha, un Pokémon qu’il ne connaissait que trop bien. Le vieil Alakazam se tenait dans une grande colonne de verre sous vide, des tuyaux dans ses narines lui permettant de respirer. Toute une série de câbles avaient été greffés sur son corps, alimentant les machines présentes aux côtés de la colonne d’une multitude d’informations tel que son rythme cardiaque, la fréquence de ses ondes cérébrales et autres données.
Les yeux du Pokémon Psy étaient vitreux et même s'il semblait bien malade, son visage paraissait décomposé par la haine.
En fait, elle était la seule émotion que cet être dégageait.
De la haine et de la fatigue. Beaucoup de fatigue.

A la vue du Pokémon mal en point, Morgane se leva brusquement, mais un sbire la fit immédiatement se rasseoir.

- Mes amis, reprit Giovanni. Si ce Pokémon travaille pour nous aujourd’hui, il nous faut remercier ces jeunes gens qui l’ont découvert, continua-t-il en pointant Sacha et ses amis du doigt.

L’ensemble du public se tourna vers nos amis, les fixant avec de grands yeux inexpressifs. Les membres de la Team Rocket chuchotèrent entre eux à voix basse.
Ils doivent se demander qui nous sommes… Se dit Sacha.

Giovanni esquissa un sourire carnassier et claqua à nouveau des doigts. Toutes les lumières se rallumèrent le rideau retomba lourdement.

- Maintenant, ordonna Giovanni, retournez à vos postes de travail. Nous referons le point demain.

Et se mêlant à ses gardes, il disparut derrière une lourde porte, suivit de ses deux fidèles Persian.
Jude fit se relever Sacha et les autres et ils parcoururent, de nouveau escortés, le chemin inverse.
Arrivés devant leur cellule, un sbire ouvrit la porte.

- Rentrez, ordonna Jude.

N’ayant pas l’ombre d’un choix, Sacha et ses amis se retrouvèrent à nouveau enfermés tandis que Jude leur tournait les talons et disparaissait à l’angle d’un couloir.

Une fois seuls, Sacha eut à peine le temps de se retourner vers son amie, que celle-ci se jeta dans ses bras. Le jeune homme serra Ondine très fort contre lui. Il aurait aimé trouver les mots pour la rassurer, mais lui-même ne les connaissait pas, alors ils se contentèrent de rester ainsi, Sacha silencieux face aux sanglots ininterrompus de son amie.

Seule Morgane s’était sagement assise au même endroit qu’avant leur visite dans la grande salle. James, à ses côtés, se balançait d’avant en arrière comme un pantin cassé. Le visage de Jessie toujours présent dans son esprit lui renvoyait sa propre honte, le dégout qu’il avait envers lui-même. Lui qui avait voulu la venger croupissait à présent dans ce maudit trou à rat. Chaque pierre de sa cellule le ramenait à son propre échec. Tout à coup, ce fut trop et l'ancien membre de la Team Rocket craqua et se prit la tête à deux mains, hurlant :

- On va mourir ici ! On va mourir ici !

Les sanglots d’Ondine reprirent de plus belle, tandis que Sacha lançait à James un regard noir qui finit par s’adoucir. Le jeune dresseur murmura alors :

- Je suis désolé James, de t’avoir accusé pour rien.

Surpris par cet instant de gentillesse, l’homme aux cheveux bleus cessa ses cris et se calma, seulement quelques secondes, malheureusement.

- On va mourir ici… Finit-il par reprendre, le regard dans le vide. Et il n’y a qu’elle que ça n’a pas l’air de déranger ! Ajouta-t-il, à nouveau hystérique, en pointant son doigt vers Morgane.

Effectivement, la championne de Safrania avait un comportement assez particulier. Toujours appuyée contre son mur, un sourire léger flottait sur son visage de marbre.

- Morgane, pourquoi tu souris comme ça ? Demanda Sacha, toujours debout avec Ondine, d’un air sombre.
- Oh… Tu verras… Dit-elle, d’une voix énigmatique.
- Morgane... On n’a pas le temps de jouer aux devinettes…
- Les hommes de pouvoir sous-estiment toujours ce qui semble être inoffensif.
- Hein ? Fit Sacha qui ne comprenait rien à ce que racontait Morgane.

Même Ondine décolla sa tête du torse du dresseur et regarda en direction de la championne. Elle prit une grande inspiration et,difficilement, réussit à maitriser ses pleurs.

- Morgane… Si tu as une solution, je t’en supplie, dis le nous… Balbutia-t-elle. Je ne veux pas mourir ici.
- Ils ont enfermé cet Alakazam dans une prison de technologique et finit de corrompre ce qu'il restait de son âme. Mais Abra est enfermé à double tour dans une Pokéball, elle-même enfermée dans une salle avec d’autres. Mes autres Pokémons, nos autres Pokémons…
- Tu sais où est Pikachu ?! S'exclama Sacha.
- Oui... Murmura Morgane, d'une voix neutre.
- Et bien dis-nous où ! S'indigna le jeune homme.
- Dans une salle. Nous sommes passés devant, une porte verte… Soupira Morgane en appuyant sa tête sur le mur.
- Sacha… Chuchota Ondine qui voyait son ami se gonfler d’espoir, ce n’est pas parce qu’on sait où ils sont qu’on peut aller les récupérer…

Sacha soupira… Ondine avait raison, encore une fois. Hors de lui, il s’éloigna de son amie et, pris d'un élan de folie, frappa son poing contre la porte en verre qui ne vibra même pas.

- Sacha, patience, fit Morgane.
- Mais patience quoi ?! S’énerva Sacha en se tournant vers la championne, qu’est-ce que tu nous caches encore ?
- Abra va venir me chercher.
- Quoi ?! Firent les trois autres prisonniers à l’unisson.

Cette déclaration sortie de nulle part avait même sorti James de sa léthargie.

- Oui et il m’emmènera à cet Alakazam. Il faut que quelqu’un le convainque d’arrêter ce qu’il est en train de faire.
- Mais comment veux-tu…
- Cet Alakazam est rongé par la colère. Il ne pensa qu’à la destruction, murmura Morgane.
- Et tu crois vraiment que tu pourras le raisonner de quoi que ce soit ? Tu veux que je te rappelle ce qu’il m’a fait ?! S’emporta Sacha.
- Il m’écoutera.
- Il t'écoutera ? C'est ça ton plan magique ? Sérieusement ? Abra va arriver, te faire sortir d'ici et puis tu iras sauver le monde ?

Morgane continua de sourire d'un air mélancolique et ne répondit pas. Un masque de tristesse que Sacha ne comprenait pas s'était englué au visage de la championne.

- Morgane ! Réponds-moi ! Pourquoi il t’écouterait hein ? Parce que tu parles le langage des Pokémons Psy peut être ? Parce que tu es la meilleure ? J’en peux plus de tes grands airs !
- Non. Parce que lui et moi nous connaissons bien. C’est moi... Qui l’ai abandonné.

Un silence pesant venait de s’abattre soudainement dans la cellule. Morgane, toujours immobile contre son mur, maintenait ses yeux suspendus dans le vague, un sourire triste frissonnant sur ses lèvres. Tous les regards étaient braqués sur elles, mais elle ne semblait pas s’en soucier, comme happée par un monde invisible. Après quelques secondes d’hébétement, Sacha réussit à sortir de son mutisme :

- Morgane, c’est vrai ce que tu racontes ?
- Mmmm… Répondit vaguement la championne de Safrania.
- Morgane ! Réponds-moi ! Insista Sacha, dont la voix commençait à trembler subtilement.
- Bien sûr… Finit par soupirer Morgane, tournant sa tête vers le jeune homme et plongeant ses grands yeux inexpressifs dans les siens. Pourquoi mentirai-je ?

Sacha sentit les mains d’Ondine, qui, agrippées à son T-shirt, le tiraient légèrement. Le geste inconscient de la jeune femme trahissait bien son angoisse.
Ce n’est pas possible, se dit le dresseur au Pikachu, je suis toujours évanoui…

- Mais… Mais pourquoi tu ne nous a rien dit ? Balbutia Sacha.
- Vous ne m’avez jamais posé la question je crois… Répondit calmement Morgane. Non ? Je me trompe peut-être.
- Non, mais… Même si on ne te l’a pas demandé directement, tu ne crois pas que c’était un détail dont tu aurais pu nous faire part ?!
- Le morveux a raison… Marmonna James d’une voix à peine audible.

Morgane ne répondit pas, haussa négligemment les épaules et retourna sa tête en direction du vide qui lui faisait face, se perdant à nouveau dans sa contemplation incompréhensible.

James se tut, dépassé par la tournure des évènements. Il commençait à réaliser à quel point ceux-ci continuaient leur ronde tragique sans jamais le prendre en compte. Il n’était rien. Ce qu’il disait n’avait aucun poids. Ce qu’il pensait, aucune valeur. Malheureux et désespéré, l’ancien membre de la Team Rocket se remit en position fœtale contre le sol. Sous ses paupières closes, le visage de Jessie s’effaçait de son esprit peu à peu, il n’arrivait plus à le visualiser clairement.

J’aurais du rester avec elle… Se dit-il.

Mais imaginer Jessie… Mourir dans ses bras…
Juste à cette pensée, James eut un haut-le-cœur et sentit des larmes amères lui brûler les yeux.
Je suis un lâche… Se dit-il. Tu voulais la venger… Tu parles mon vieux… Tu voulais fuir, voilà tout…
James serra ses genoux plus fortement contre son torse. Il se sentait si seul, terriblement seul.
Jessie… Tu me manques, sanglota-t-il dans l’indifférence la plus totale.

Mais à cet instant, le pauvre James n’était pas le seul à se sentir misérable.
En effet, Sacha ne savait que dire. Morgane lui avait dérobé tout son sens de la répartie pour l’entrainer avec elle dans son univers où tout disparaissait.
Mentait-elle ?
Serait-il possible que ce soit la vérité ?
Et dans ce cas, pouvait-elle vraiment les sortir de là ?
Sacha avait peur. Cette femme mystérieuse le terrifiait. Les années avaient passé, mais elle pouvait encore les manipuler à volonté comme ses poupées. Il n’avait rien vu. Personne n’avait rien vu.

Pourtant le jeune dresseur n’arrivait pas à ressentir de la colère pour la championne de Safrania. Après tout, même si elle les avait entrainés avec elle, ses intentions étaient nobles. Elle voulait arrêter cet Alakazam et l’ère de chaos que sa puissance alliée à la Team Rocket annonçaient.
Peut-être qu’elle avait honte… Se dit Sacha en laissant son regard papillonner sur le profil inerte de la femme aux longs cheveux verts.

Ondine était la seule qui, apparemment, ne croyait à rien de tout cela.

- Sacha… Laisse tomber… Chuchota-t-elle à son ami. Elle déraille complètement, elle dit n’importe quoi…
- Tu crois ? Répondit son ami à voix basse.
- Bien sûr… Regarde-là, c’est comme si elle n’était plus avec nous.
- Oui… Tu as raison…
- Dis Sacha, demanda Ondine en se rapprocha de l’oreille du jeune homme.
- Oui ?
- Tu crois que Robin s’en est sorti ?
- Je ne sais pas...
- Elle lui a presque sauvé la vie pour le coup. Je ne comprends toujours pas comment elle a pu réagir si vite…
- Je crois qu’on ne la comprendra jamais…

Sacha était sincère dans ses réponses, mais la proximité physique d’Ondine le perturbait légèrement et il avait du mal à réfléchir correctement.
Fichus pour fichus, qu’avait-il à perdre à franchir ses derniers insupportables millimètres et l’embrasser vraiment ? Vu la trahison de Jude, on ne pouvait plus trop la considérer comme fiancée après tout.
Le corps meurtri du jeune homme ne demandait que cela. Et les lèvres d'Ondine, son étreinte, étaient promesse de tant de chaleur !
Non, Sacha… Comment tu peux penser à ça… Ce n’est pas du tout le moment, se dit-il, déprimé.

- Qu’est-ce qu’il y a Sacha ? Tu me regardes bizarrement, demanda Ondine.
- Non, non, rien… Répondit le dresseur en s’éloignant légèrement de son amie.

Désireux de changer la situation, et de penser à autre chose, il partit voir Morgane, tout doucement, comme pour approcher un animal sauvage qui pourrait fuir. Une fois devant elle, il s’agenouilla à son niveau.

- Morgane ? J’ai besoin de savoir si c’est vrai. Morgane ? Tu m’entends ?! Morgane !!!

Mais malgré le ton dur de sa voix et ses grands gestes, Sacha n’arrivait à rien. Il allait prendre la championne par les épaules pour la secouer, mais Ondine l’interrompit :

- Arrête Sacha… Laisse là… Ca ne sert à rien… Elle est…
- Partie dans son monde, termina le jeune dresseur à voix basse.

Las, Sacha se traina jusqu’au bout de la cellule et s’appuya contre le mur opposé. Il avait faim, mais il avait bien compris que ce soir il n’aurait rien à manger.
J’espère que Pikachu va bien… Se répétait-il.

Devant lui, il vit Ondine s’asseoir aux côtés de James. Il lui sembla qu’elle lui murmurait des mots de réconforts.

Sacha se sentait si faible.
Certes Ondine l’aimait encore et ainsi, son plus grand espoir s’était réalisé. Il avait même obtenu son titre tant désiré de Maître Pokémon ! Mais tout cela, jamais il ne pourrait en profiter. Son amour pour la jolie rousse ne resterait qu’une porte entrouverte sur cette prison immonde, souillée par la trahison de Jude. Il n’avait même pas revu ses amis et sa mère depuis qu’il était rentré sur Kanto. Pierre et son futur enfant. Et sa mère. Sa mère.
Elle doit se faire un sang d’encre… Se dit Sacha, qui commençait à divaguer.
Et Pikachu… Je vais mourir ici, et Pikachu disparaitra aussi. Mais nous ne partirons même pas ensemble.
Pikachu…
Pika…
Pi…

Et c’est sur cette pensée douloureuse que Sacha sombra dans un sommeil lourd et sans rêve.
Ondine et James ne tardèrent pas non plus à s’endormir.

Seule Morgane restait figée à sa place. Elle sentait le passage de chaque seconde, chaque minute, chaque heure, mais écrasée par ce temps insolent, elle ne pouvait plus bouger. Elle n’aurait pu l’affirmer avec certitude, mais il devait faire nuit à présent. Le couloir qui menait à leur cellule était sombre et vide. Seule une porte vitrée infranchissable la séparait de la liberté.
Non, pas de la liberté. La liberté, elle n’y accordait aucune importante. De l’Alakazam plutôt. De son Alakazam.
Une larme roula sur sa joue.

C'était il y a bien longtemps. Ses parents lui avait raconté que ce Pokémon avait appartenu à sa famille depuis toujours. C’était un excellent Pokémon, que ce soit au combat, où sa force n’avait pas d’égal, ou dans la vie de tous les jours, de par sa douceur et sa gaieté. Mais il avait vieillit et était tombé malade. Il avait perdu la vue et presque toutes ses attaques. Tout ce qu’il savait encore faire, c’était faire des disparaitre des choses.

Néanmoins, il était impensable pour les parents de Morgane de se débarrasser d’un Pokémon simplement parce qu’avec les années, il avait perdu ses aptitudes au combat.
Morgane était encore jeune, et son comportement, étrange et taciturne. Elle se rappelait bien, ce sentiment de malaise. Parfois, elle se sentait en harmonie avec les autres fillettes de son âge, heureuse et insouciante, mais à certains moments, un poids énorme la terrassait. Elle se sentait alors ensevelie par un univers apeurant.
Le temps qui passe.
Au final, tout le monde allait mourir. Tous les gens qu’elle connaissait, elle aussi… Un jour. Rien n’avait de sens. Quand elle ressentait cela, elle n’avait qu’une envie, en finir tout de suite. Mais son instinct de survie trop développé, elle se contentait de broyer du noir tout en cherchant une échappatoire à ses crises existentielles. Personne ne comprenait ses questions.
Étaient-ils donc tous si bêtes ?
Ne comprenaient-ils donc pas ?
Qui sommes-nous ?
Pourquoi sommes-nous ici ?

Ses parents, inquiets pour elle, avaient pensé faire d’une pierre deux coups en lui confiant cet Alakazam vieillissant. Ils lui avaient dit :
« Prends-en bien soin chérie, ce sera ton nouvel ami »
Mais cet Alakazam avait l’air tellement idiot. Ses yeux vitreux n’évoquait rien. A cette époque, Morgane détestait ce regard qui la renvoyait à sa propre impuissance face à ses démons intérieurs. Cet Alakazam n’était pas son premier Pokémon et elle aurait bien voulu le garder dans une Pokéball comme les autres, mais il y manquait d’air à chaque fois. Contrainte de passer ses journées en sa compagnie, elle le voyait faire disparaitre ses jouets. Elle ne les aimait pas, mais pourtant cela la mettait hors d’elle.

Morgane soupira dans la noirceur de sa cellule. Avec le recul, il avait simplement du vouloir jouer… Ou alors, il ne l’avait pas fait exprès. Mais l’enfant qu’elle était cette époque était intransigeant. Et cruelle.
Et c’est comme cela qu’elle l’avait abandonné.

Elle ne l’avait regretté que bien plus tard, une fois adulte, après qu’une certaine paix intérieure ait enfin réussi à venir s’installer et briller en elle. Sacha et ses amis l’avait d’ailleurs bien aidée à l’époque.
Elle était retournée sur les lieux de l’abandon, mais ne l’avait jamais retrouvé. Il devait être mort. Une erreur de jeunesse. C’était cela. Une erreur de jeunesse.

Le temps était passé, moins douloureux. Elle faisait moins de crises d’angoisse à présent. Elle avait même trouvé l’amour. Et certes, les choses n’avaient pas plus de sens qu’avant, mais elle essayait de moins se poser de question. De plutôt profiter de la vie.
Mais Sacha et Ondine étaient revenus. Et cet Alakazam avait resurgi dans sa vie.
Les choses avaient peut-être un sens finalement.
Il était temps de réparer ses erreurs.

Le petit groupe dormait déjà depuis un moment quand une petite lumière pâle et ronde comme une bille apparut entre les bras de Morgane. Sous ses yeux ravis, la lumière, très douce, s’amplifia légèrement et prit forme. La championne de Safrania serra contre elle son Abra adoré qui lui rendit son étreinte avec joie. Dans un petit bruit à peine perceptible, son sac atterrît à ses côtés.
Contente de vous revoir les amis… Pensa-t-elle en glissant ses doigts sur le tissu sous lequel ses Pokéballs frémirent à son contact.

Morgane lança un dernier regard à ses partenaires d’infortunes assoupis, plus insistant sur Sacha d'ailleurs.

- Il est temps, murmura-elle alors à son Pokémon Psy. Amène-moi à lui.

Abra poussa un petit couinement et Morgane et lui disparurent pour se re matérialiser devant une grande colonne en verre entourée d’une multitude de machine. Morgane inspira profondément. Elle était seule dans cette grande pièce étrange dont un mur n’était qu’un lourd rideau, face à son Pokémon abandonné, profondément endormi.

Intimidée, mais résolue, la championne de Safrania, Abra accroché sur son dos, posa délicatement ses mains sur le verre, ainsi que son front. L’Alakazam ouvrit alors de grands yeux blancs et vibra de tout son être.

- Bonjour mon vieil ami… Murmura Morgane.

Pendant ce temps, Sacha, dans sa cellule, avait vu son sommeil sans rêve se transformer. Une silhouette était apparue. Belle, grande et fine avec de longs cheveux verts…
Morgane ? Que faisait-elle là ? Se demanda le dresseur.
Il courut vers elle dans un paysage de coton noir. Morgane le regarda avec des yeux doux, puis le pris dans ses bras.

- Tout ira bien… Merci de m’avoir aidée, murmura-t-elle d’une voix chaude.
- Morgane ? Où sommes-nous ? Balbutia Sacha.
- Je dois partir maintenant.
- Partir ? Mais partir où ?

Mais Morgane ne répondit pas et s’évapora dans les bras du jeune homme pour rejoindre les nuages sombres du décor qui les entourait.
Sacha s’agita et se retourna sur le sol froid, mais ses yeux restèrent clos, et bientôt, il replongea dans son sommeil vide.

Morgane n'était plus là, mais personne ne s'en était aperçu.