La Team Aura

On ne parlait plus que de ça depuis des mois. A la télévision, dans les journaux, à la radio, sur le net et plus grossièrement, dans tout les médias qui n’avaient pas été censurés par la Force de Défense, qui si dans les faits était supposée être l’armée officielle des Îles de l’Archipel Orange, n’était ni plus ni moins que l’armée personnelle de Giovanni dans laquelle on pouvait aussi bien trouvé les membres de la Team Rocket, devenue le Parti Unique de la Nation, que des jeunes originaires des territoires contrôlés par le régime de Giovanni, volontaires ou enrôlés de force.
Si les raisons pour lesquels l’Archipel Orange avait déclaré la guerre aux Ligues Unies, quelles soit officielles comme le refus de la part des LUP de reconnaitre l’indépendance des Îles, officieuses comme la soif de domination de ce qui dans le fond, était toujours la Team Rocket ou même semi-officieuses comme le besoin urgent pour cette nouvelle nation de s’étendre, sans quoi elle ne pourrait pas être autonome, étaient maintenant bien connues de tous. La façon dont un parti politique, financé et manipulé par la Team Rocket avait pu arriver au pouvoir dans l’archipel, elle, était encore sujette à débats… Lorsqu’il restait encore des personnes pour débattre.

Ondine, dans son arène, accroupie sur le rebord du bassin fixait l’eau d’un regard vide, en glissant sa main droite au contact de l’eau, d’un geste répétitif et machinal. Il n’y avait personne à part elle. Il n’y avait plus de challengers  depuis que la ligue Kanto avait à son tour décidé de suspendre ses activités pour se consacrer plus efficacement à l’effort de guerre, cela faisait quelques semaines déjà. Il n’y avait plus non plus d’employés à l’arène. Certes, il n’y avait plus d’employés dans aucunes arène depuis que la ligue avait décidé que seul les champions étaient nécessaires à l’entretient de base d’une arène et à la protection de la ville dans laquelle elle était implanté, mais Ondine avait congédié ses employés bien avant que la ligue ne lui en donne l’ordre. « Ils devraient être avec leurs proches plutôt que de venir travailler tout les jours. » avait elle pensé. Elle avait même continué de leur payer leur salaire ! Du moins jusqu’à ce qu’on lui supprime près de quatre-vingt-dix pourcents de son budget, il y a quelques jours. Et aujourd’hui, ce fut une autre mauvaise nouvelle qui entra dans l’immense sale de combats-spectacles de ce qui n’était plus que l’ombre de ce qui avait été l’arène Pokémon d’Azuria, en même temps que Daisy, la sœur ainée d’Ondine, qui avait brusquement pris conscience de la réalité autour d’elle le jour ou la nouvelle était tombée. Lorsque la Fin d’une période de paix de plus d’un siècle avait été officiellement et brusquement déclarée, lorsque le monde ne voulait pas encore y croire…

« -Vas y., lança sèchement Ondine qui avait senti sa sœur arriver dans son dos. Quelle mauvaise nouvelle supplémentaire le journal nous apporte t’il aujourd’hui ?

-Ca va pas te plaire ma chérie., lui dis tendrement sa sœur, espérant la ménager.

-Je suis une grande fille, plus besoin de me ménager., devança Ondine qui voyait clair dans le petit jeu incessant que ça sœur répétait tout les matins. Qu’est ce qu’il y a ?

-Ils ont pris Céladopole., lâcha simplement Daisy, sachant qu’elle ne pouvait pas lutter  contre sa sœur, surtout en ce moment.

-Comment font il ?, demanda Ondine, plus pour elle-même que pour obtenir une réponse. Comment peut-on perdre face à eux ? »

Ondine se leva et d’un coup sec de la main en direction de la piscine, se débarrassa des goutes d’eau qui perlaient le long de ses doigts fins. Elle prit le journal des mains de Daisy, et survola l’article en première page. La ville des rêves arc-en-ciel venait de sombrer dans le cauchemar. L’article mentionnait comment la Force de Défense avait massacré, car c’était le bon mot, le gouvernement régional de Kanto, qui avait été relogé à Céladopole depuis la prise de Safrania, un peu moins de deux mois plus tôt. Il faisait également un éloge du courageux combat qu’Erika avait mené, avant de périr brulé vive dans les flammes qui ravagèrent la ville en essayant de sauver son Ortide, comme si l’Histoire, pourtant sans précédent, avait tout de même trouvé un moyen de se répéter. Enfin, l’article rappelait, comme si le moral n’était pas déjà au plus bas, que Céladopole était la seule bulle de liberté au milieu d’un territoire désormais intégralement contrôlé par la Force de Défense. En tournant la page, Ondine se retrouva face à la rubrique Nécrologie, dernière rubrique du journal.

« -La Vérité a connue de meilleurs jours., plaisanta amèrement Ondine à propos du journal. Fut un temps où ils publiaient plus d’articles que la Une et la Nécro’.

-Plaisante pas !, rétorqua Daisy. C’est pas drôle. Qu’est ce que ça dis ? »

Ondine se mit alors à lire les initiales de l’interminable liste de noms des morts. Une fois qu’elle eu fini de déchiffrer le code secret caché dans les dernières pages, ses yeux s’écarquillèrent de stupeur et elle se mit à trembler, avant de se ressaisir, les yeux emplit de la détermination d’une personne prête à en découdre. Elle lu pour sa sœur, que son regard avait rendu terriblement inquiète, et non sans raisons :

« -For. Den. Cil. Ari. Bit., déclara t’elle comme si cela avait un sens.

-S’il te plait, va droit au but.

-La prochaine fois tu éviteras d’essayer bêtement de me ménager lorsqu’il y a une mauvaise nouvelle dans le journal… Maintenant que tu sais l’effet que ça fait. , répondit Ondine, sans une once d’amusement dans la voix, avant de se mettre à ajouter à son code, les initiales de la seconde page de la façon dont le petit livreur de journaux lui avait secrètement appris.  Force ; Défense ; Cible ; Azuria ; Bientôt. »

Daisy lâcha un cri suraiguë, avant de porter ses mains à la bouche et de courir prévenir leur deux autres sœurs, Lili et Violette. Ondine fit semblant de ne pas avoir remarqué les larmes apparaitre dans les yeux de sa sœur ainée, jeta le journal et repris sa position initiale sur le rebord du bassin, ainsi que son mouvement mécanique de la main droite caressant l’eau.

Daisy, Lili, Violette, Joëlle et même Cowboy, le garçon qui chaque matin apportait le journal, avaient tous essayé de persuader Ondine de fuir loin d’Azuria avant que la Force de Défense n’arrive. Mais rien, absolument rien, ne pouvait se mettre entre Ondine et l’une de ses idées, même si celle-ci était de défendre sa ville jusqu’à son dernier souffle, en sachant pourtant pertinemment ne pas faire le poids. Elle allait mourir. Elle allait mourir si personne ne faisait rien pour l’en empêcher. Elle allait mourir et tout allait disparaitre avec elle. Elle allait mourir et elle le savait.

Celui qu’on surnommait Cowboy était un jeune livreur de journaux d’environ 12 ans. Blond aux yeux bleus, la peau claire, toujours habillé d’un short et d’une chemise à manche courte dont il ouvrait les trois premiers boutons pour avoir l’air d’un de ses héros préférés, ces séducteurs généralement hispanique ou latino au centre des intrigues des vieux films qu’il regardait avec son père. Ondine s’était attachée à lui, et lui à elle, il était foncièrement gentil, mais énergique et aventureux aussi, curieux de tout, et il faisait preuve d’un optimisme quotidien dont elle avait bien besoin. Il était sa bouffée d’air frai avant les mauvaises nouvelles du matin. On disait de lui que c’était le fils d’un grand journaliste d’investigation, que le Rédacteur-en-Chef de La Vérité était le seul à avoir subventionné tant il était excentrique et provocateur dans ses articles. On disait qu’il avait été forcé de grandir trop vite, lorsque son père avait été tué par des agents de la Team Rocket, à l’époque ou l’organisation portait toujours ce nom. C’était  bien avant la guerre, mais pour le père de Cowboy, c’était surtout le sujet de trop. Il avait été tué alors qu’il avait tenté une infiltration, dans une équipe de bras cassé qui l’avait démasqué par un incroyable concours de circonstances et qui l’avaient livré à leurs supérieurs dans le but d’obtenir une promotion. On disait qu’ils ignoraient tout de ce que leurs supérieurs réservaient à ce pauvre homme, on disait même qu’ils avaient quitté la Team Rocket par la suite, avant qu’elle ne devienne vraiment dangereuse. Mais Cowboy s’en fichait, pour lui, la Force de Défense était responsable de la mort de son père, et c’est pour cela que ce jour là, sans réfléchir, alors que tout devenait flou dans sa tête, il s’élança vers cet homme vêtu de noir en criant à plein poumon son déchirant hurlement de haine. Ce jour là, on entendit un coup de feu, puis plus rien. Ce jour là, la Force de Défense débuta son siège d’Azuria.

Ondine, toujours à l’arène, s’activait, elle savait que chaque seconde qu’elle perdait représentait plus de morts et elle se sentait un peu plus coupable au moindre tic, et au moindre tac, de l’horloge qu’elle fini, au bout d’à peine une minute, par détruire d’un simple coup de poing, par pure frustration. La main complètement ensanglanté, mais sans y prêter attention, elle se rua, Pokéballs à la ceinture, vers la grande porte de l’arène. Elle n’alla pas plus loin. Elle cru un instant que la peur, mêlée aux bruits assourdissant des explosions incessantes et à l’odeur répugnante et caractéristique des corps calcinés, lui avait fait perdre la force d’ouvrir une porte aussi grande et aussi lourde, mais elle compris rapidement que celle-ci avait été simplement fermée à clef. Elle fouilla ses poches une par une, grommela, se plaignant de ne pas trouver ses clefs, puis elle fouilla une deuxième fois toutes ses poches, poussa un cri d’exaspération si fort qu’il couvrit, l’espace d’un bref instant, le bruit des explosions, fouilla une troisième fois, poussa un cri de douleur après avoir glissé trop vite sa main dégoulinante de sang  dans une poche de son jean pour finalement se rendre à l’évidence.

« -Daisy…, murmura t’elle. »

Elle entendit alors un bruit fracassant, bien plus fort que les explosions, car bien plus proche, elle cru reconnaitre le bruit d’un avion mais se ravisa. Ce n’était pas possible, le bruit venait du toit de l’arène. Elle décida d’y monter. Plus parce qu’il représentait la seule sortie potentielle que pour chercher à déterminer l’origine du bruit car désormais, elle ne pensait plus que de façon très manichéenne : « Si c’est hostile, je le dégomme ! ». Sauf qu’un esprit s’étant lui-même réduit à un tel niveau de simplicité, ne pouvait être que décontenancé face à la scène qui s’offrait à lui : il s’agissait bel et bien d’un avion sur un toit ! Les quelques microns durant lesquels elle se retrouva hésitante face à cette avion suffirent à ce qu’une imposante silhouette lui bloque les bras et les jambes, et ne l’embarque de force à bord de l’appareil. Une fois à bord, elle sentit un relâchement de la part de l’homme qui la maintenait et se retourna violement, prête à arracher les yeux de son assaillant avec les ongles s’il le fallait. Qu’elle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle découvrit l’identité de l’homme :

« -PIERRE !?, beugla t’elle en sursautant. »

Cela faisait des mois qu’elle n’avait plus revu son ami, et ce n’était vraiment pas le genre de retrouvaille qu’elle imaginait. A dire vrai, depuis la prise d’Argenta près d’un mois auparavant, elle n’espérait plus le revoir en vie. Puis elle se retourna de nouveau, et reconnu d’autres visages familiers, autant de visages dont elle n’aurait jamais rêvé revoir les traits. Le professeur Chen, Déliah et toute la famille de Pierre, comme rarement au grand complet. Il y avait ses sœurs et Régis était là aussi, adossé dans un coin, le regard tendre et le visage compatissant. Elle se calma presque instantanément.

« -Je suis désolé., fit Pierre tandis qu’Ondine sentait l’avion décoller, par on ne sait quel miracle. Mais on devait te sauver. Azuria est perdu de toutes façons, tu n’as pas idée du nombre qu’ils sont… Un homme d’Argenta, un vieil homme agonisant, nous a offert son petit jet pour nous enfuir… »

Mais Ondine ne l’écoutait déjà plus. Il lui semblait que son cœur essayait de se déchirer tout seul. Il lui semblait qu’il allait y parvenir. La douleur était insupportable, inimaginable, sans aucunes limites. Jamais elle n’avait ressentit telle chose. Et à mesure qu’elle s’approchait du hublot, à mesure qu’Azuria, réduite à l’état de cendres, de flammes, de cris et de pleurs apparaissait devant ses yeux, elle sentit ses poumons se contracter jusqu’à ce qu’elle ne parvienne plus à respirer. Elle voyait des masses de personnes, des personnes qu’elle ne voyait pas d’ici, mais qu’elle connaissait surement, mourir et bruler sous ses yeux et malheureusement pas toujours dans cet ordre. Elle ne pouvait s’empêcher imaginer Tamara, la gentille fleuriste, rôtir aux milieux de ses plantes, comme Erika avant elle, ou Kora, l’ambitieuse photographe qui venait parfois à l’arène immortaliser ses exploits, pulvérisé par le souffle d’une explosion. Et lorsqu’ensuite, elle vit son arène s’effondrer, elle eu l’impression que toute sa vie s’écroulait avec elle et une énième vision d’horreur la frappa malgré elle, le corps de Blake, l’arbitre de ses matchs, qui se serrait demandait ou elle pouvait bien être et serrait allé la chercher à l’arène pour se faire écrabouiller par les gravas de ce lieu dans lequel ils avaient tant partagé.
Une lumière aveuglante l’obligea à fermer les yeux et à cesser de se torturer elle-même. Tout était fini. Elle sentit alors une main réconfortante se poser sur son épaule et tourna la tête, en direction de Régis dans les bras duquel elle s’effondra. Et pour la première fois depuis le début de la guerre, pour la première fois depuis bien des années et peut être bien pour la première fois depuis des siècles, ce jour là, on vit une sirène pleurer.